Si il y a bien une chose à laquelle je ne m’attendais pas en intégrant la tumultueuse équipe des Kroniqueurs NIMiEns, c’est bien celle consistant à enrichir ma maigre culture des mythes et légendes de tous poils. Quête héroïque multidimensionnelle pour les uns, combat séculaire entre des démons squelettiques et des anges aux yeux flamboyant venus défendre nos pauvres âmes pour les autres… Non seulement notre musique préférée nous replonge régulièrement dans de vieilles traditions oubliées, mais ne s’interdit pas non plus de forger ses propres univers. Le cliché du Métalleux bas-du-front uniquement préoccupé par le nombre de décibels que ses oreilles endolories pourraient encaisser peut donc aller se faire oublier et descendre une bonne binouze tiède au troquet du coin !

Pendant ce temps là, Ô lecteur érudit, je pourrais te conter la terrible légende de l’Octavius, navire emblématique de la lignée des vaisseaux fantômes qui aurait quitté l'Angleterre pour rallier l'Orient en 1761 et dont le Capitaine, voyageant exceptionnellement avec son épouse et son fils, aurait décidé pour le retour d’emprunter la voie glacialement périlleuse du Nord-Ouest avant de disparaître avec son navire et l’entièreté de son équipage…

Je pourrais en outre tenter également de te décrire les regards incrédules des marins du baleinier Herald croisant treize années plus tard au large du Groenland et apercevant la silhouette fantomatique de l’Octavius qui dérive dans le brouillard givrant… avec tout son équipage statufié par le froid et condamné a errer à jamais sur ces eaux septentrionales.

C’est en tout cas l’univers délicieusement surréaliste qu’on repris les trois américains de GHOST SHIP OCTAVIUS non seulement pour baptiser leur formation, titrer leur premier opus, en illustrer la pochette sans oublier d’en nourrir les paroles des onze titres qui arment ce surprenant premier-né émergeant des flots glacés en mars 2015. Sauf que pour les deux premiers de ces matelots hargneux, on a plutôt affaire ici à des requins écumeurs qu’à de gentils barboteurs : Est-il d’ailleurs ici nécessaire de présenter le turbo-percutant Van Williams, batteur émérite du tout juste défunt NEVERMORE (dont la bassine à Kro n’attend plus que ta tête sur ton webzine préféré ben voui!) ou encore le très adroit et néanmoins puissant guitariste Matt Wicklund qui a fait ses armes dans le combo éponyme WARREL DANE, frontman de NEVERMORE… et oui, le monde du Power-Prog’US c’est un peu comme New-York pour les aliens, on y déboule en toute confiance pour y retrouver ses potes. Pour le troisième larron quant à lui parfaitement inconnu, Mister Adon Fanion, il se charge non sans un certain talent d’un riffing globalement bien envoyé mais projette surtout à l’attention des blocs de glace dérivants une voix qui, si elle ne fendille pas la peinture du plafond, assure néanmoins très dignement le job avec une bonne capacité de puissance et des reflets éraillés qui ne me laissent jamais indifférent.

"- Merci bien Haplo pour l’enrichissement de notre culture personnelle en matière de vaisseaux fantômes, mais une formation US de Power mélodique aux riffs bien bordés, à la double grosse caisse trépidante et enrobé par une voix claire rockeusement éraillée… heu, ça s’appelle un méchant clone de SYMPHONY X avec près de vingt piges de retard ton histoire ?"

Une question sous-tendue par une affirmation pas complètement déconnante tant il est vrai qu’on sait avec quel talent le gang mené par Russell Allen a marqué de son empreinte le genre concerné… Mais pas complètement indéboulonnable quand on s’attarde un chouia sur le Metal baroque et typé que proposent nos trois corsaires (renforcés pour l’occasion d’une bassiste discrète mais bien présente !). Et ils ne se ménagent pas à la tâche les bougres ! GHOST SHIP OCTAVIUS, se sont d’abord des riffs massifs posés sur une section rythmique au cadencement mitraillo-chirurgical, une double grosse caisse chantante tout en étant bigrement affûtée, une guitare lead dynamique à souhait balançant des gimmicks/soli hargneux comme bien pensés… Bref, du boulet de canon pur sucre qui te démâte le vaisseau de la douane avant même de penser à dire "contrôle !".

Il ne serait d’ailleurs pas très honnête d’attribuer toutes les qualités de ce Metal Powerisant de bonne facture aux seuls membres de ce trio proclamé, car nos astucieux loustics, non content d’y associer une bassiste, ont également rapporté dans leur besace toute une flopée de héros guitaristiques venant généreusement concourir à l’emballement électrisant du navire : c’est ainsi qu’un Mattias "IA" Eklundh (FREAK KITCHEN), qu’un Chris Caffery (SAVATAGE/TRANS SIBERIAN ORCHESTRA), qu’un Jeff Loomis (NEVERMORE) ou encore qu’un Per Nilsson (SCAR SYMMETRY) s’attellent à décocher des soli virevoltants qui, même si ils ne propulsent pas GHOST SHIP OCTAVIUS au rang des hors-bord de compétition, en font néanmoins un puissant brise-glace.

Ce pic vertueux est selon moi bellement atteint avec le surprenant et inspiré "Sea Storm", marqué par sa ritournelle mélodique obsédante, sa rythmique tant rapide que désarticulée, son refrain savoureux de grandiloquence sans oublier un solo guitare aéro-acrobatique ! Les américains parviennent ici à concilier une intelligence notable de composition comme un art appréciable de l’imprévu… Ce que j’affectionne particulièrement. Sans reproduire la même résonance jouissive, d’autres titres sortent clairement la tête du lot, justifiant pleinement la découverte auditive de ce drôle de bateau fantôme ; à l’image du prenant et chaloupé "Silence" dont le solo piquant vient appuyer un refrain joliment mélodique… de l’hypnotique "In Dreams" au bridge ultra-cadencé ou encore le très efficace "Fate Is Blind" dont la rythmique lourde en contraste avec une ligne minimaliste ainsi que des orchestrations bien dosées viennent dignement clôturer ce premier effort studio de 2015.

En outre, et même si il enregistre une petite baisse de régime en début de seconde partie, ce qui est amplement compensé par les deux dernières compositions citées plus haut, "Ghost Ship Octavius" se veut globalement une bonne surprise pour un genre ayant connu ses lettres de noblesse une quinzaine d’année plus tôt. Puissant, mélodique et accrocheur le Power-Metal proposé par les américains fleure bon l’inspiration et la générosité… On est pas là pour se tirer sur la nouille entre potes mais on aimerait faire plaisir à nos auditeurs ! GHOST SHIP OCTAVIUS apporte donc ici une très convaincante pierre à l’édifice, sachant nous réserver quelques petites surprises, et se forge une signature qui, si elle ne révolutionne pas le bouzin, s’avère attrayante… à suivre pour savoir si les américains sauront exploiter cet avantage !

Emmitouflé dans mes couches de vêtements raidis par le froid comme par cinq longs mois de navigation, je quitte le pont gelé de l’Octavius les yeux remplis par les images d’un équipage gelé (mais parfaitement conservé !) rassemblé dans la grande cale froide comme par celle du Capitaine figé dans la rédaction de son livre de bord… que je suis parvenu à extraire de ses mains bleuies. Alourdies par le gel, les pages centrales se détachent de la reliure et tombent dans les eaux sombres… Emportant avec elles le terrible secret de l’Octavius et ne me laissant que le 4/5 figé au dos de la couverture. Album à découvrir pour se laisser entraîner vers les contrées plus chaude d’un Power-Metal décomplexé sachant être épique et catchy !

- pour se laisser surprendre : "Sea Storm",
- pour chantonner le refrain : "In Dreams",
- pour finir en beauté : "Fate Is Blind".