Qu’est-ce que ça fait du bien de plonger dans la folie de ce groupe insaisissable et poisseux comme la pire des mélasses qui soit. Les Allemands de BETHLEHEM savent y faire pour nous surprendre et toujours dans le bon sens. Enfin façon de parler ! Les amateurs de sérénité et d’ambiances posées pourront remballer boutique, car "Sardonischer Untergang Im Zeichen Irreligiöser Darbietung" (S.U.I.Z.I.D pour les intimes) est d’évidence un cauchemar éveillé, une ode perturbée s’agitant avec des gestes tonico-cloniques contenus dans une camisole infernale. Marco Kehren (DEINONYCHUS) a remplacé aux vocalises ténébreuses le fantasque Rainer Landfermann, et son recrutement va faire croître la folie du groupe. Rainer nous avait sorti une hystérie totale d’hurlements en tous genres, Marco lui possède cette même ligne de conduite complètement dingue.

Si l’album précédent schlinguait le sang coagulé et le balancement ternes de nœuds coulants au-dessus du vide, ce nouvel album est une plongée aux enfers, une immersion dans une lave belliqueuse. Annonçant très fortement son épanchement vers les angoisses et les cauchemars éveillés, "S.U.I.Z.I.D" n’en finit pas tout du long de ses trois-quarts d’heure de nous chuchoter à l’oreille des horreurs sans nom. Très aérées, les lignes de guitare semblent flotter dans l’air et cisaillent une brume épaisse pour dévoiler des visions épouvantables. Et au milieu des bruits, des samples effrayants, des râles, des éructations, et des chants parlés notamment de Cathrin Campen, les hurlements de Marco saisissent d’effroi comme des lames de couteaux s’abattant de toutes parts.

Écoutez les titres d’une dinguerie sans nom que sont "Du Sollst Dich Töten", "Als Ich Noch Caulerpa Taxifolia Erbrach" avec leurs mélodies assassines totalement hantées par les aliénations mentales de Jürgen Bartsch ou de Klaus Matton (le deux compositeurs), ou les dépressives et pleines d’entailles et de scarifications "Gestern Starb Ich Schon Heute", "Tote Weiße Marder" avec leurs rythmes syncopés et leurs effets dissociatifs… Nom de nom que cet album - à l’instar de "Dictius Te Necare" - n’est vraiment pas à mettre entre toutes les mains. Certains parmi vous chercheront désespérément la sortie, et les autres – comme moi – resteront soumis aux ordres belligérants de ce disque des enfers.

Il faut une certaine dose d’assurance et de stabilité pour se laisser happer sans dommages dans l’écoute de ce genre d’albums. "S.U.I.Z.I.D" est un genre de Black/Doom suicidaire de la pire espèce, avec une basse rutilante, des riffs qui nous envoient des images intraduisibles et des fantasmes glauques à la gueule ("Luftstehs'Ibläh"), des breaks de malade et même des soli superbes ("Gestern Starb Ich Schon Heute"). Plus tortueux et complexe que "Dictius Te Necare", cet album développe jusqu’à saturation des atmosphères de fin du monde et de fin de vie. Dérangé, imprévisible, chaque titre est un univers à part et la propriété d’un unique démon. Clôturant la trilogie entamée par "Dark Metal", "S.U.I.Z.I.D" est jonché d’émotions inavouables et de désirs funestes, et représente un must du genre DSBM (Depressive Suicidal Black Metal) mais version SM.

"S.U.I.Z.I.D" referme donc la première étape de BETHLEHEM, et elle était sacrément étouffante et ténébreuse. Beaucoup considèrent que c’était la meilleure de toutes et je le pense aussi. Mais la discographie des Allemands ne s’arrête pas là, elle va prendre un nouvel envol avec une nouvelle trilogie très exploratoire (nous en reparlerons) démarrant avec "Schatten Aus Der Alexander Welt" et s’étalant sur treize ans. Pour l’heure, par pitié s’il vous venait à l’idée d’écouter ce "Sardonischer Untergang Im Zeichen Irreligiöser Darbietung" d’une traite, n’éteignez surtout pas la lumière ! (Paroles de vieux sage).