Je me suis beaucoup demandé quel pourrait être l’archétype du fan de Funeral Doom tant ce style de musique paraît peu accessible. Les critiques faciles et les représentations usitées s’amusent à voir en ce style qu’un tas de mélodies boueuses s’égrenant sur un surplus de minutes sous la houlette d’un batteur anxyolisé qui entre deux coups de caisse claire continue à se couper les ongles, se curer le nez ou part se faire couler un café. Et puis je me suis regardé dans le miroir et j’ai été effrayé. Faut dire que j’apprécie le Funeral Doom, sa lenteur pachydermique grisante, ces envolées doucereuses et lourdes qui convolent au fur et à mesure vers un firmament inconnu mais empli de liturgies. Les émotions puissantes et profondes que sont le désespoir, la nostalgie, la mélancolie bardent l’armure fragile de ce style et l’intranquillise par les craquèlements qu’ils opèrent, et les sinuosités qui apparaissent et se creusent.

En côtoyant l’équipe de votre webzine préféré, j’ai découvert par contre le fan ultime de ce style et qui physiquement le représente bien plus aisément que votre juvénile chroniqueur. La taille conséquente, le port altier de lunettes soignant expressément son air tout à la fois débonnaire et littéraire, Wën est cette image d’Épinal du Funeral Doom. Fringant et charismatique, Wën est affublé comme un thésard scientifique, mais ses qualités d’écriture – que vous pouvez mirer lors de ses improbables et incroyables publications – forcent le respect et revigorent les grandes qualités de ses préférences musicales. Wën en a sous le capot dira-t-on, et ce frère d’armes affûte sa plume avec lenteur certes (la fameuse congruence du Doomer), mais surtout avec une précision majestueuse. Lisez sa dernière chronique, celle de OROMET, et ne me dites pas que vous n’aurez pas envie d’en tester l’écoute.

Pour en revenir à ORNAMENTOS DEL MIENDO, sachez que ce onemanband espagnol n’est pas à son premier coup d’essai. L’album qui nous préoccupe aujourd’hui est le cinquième de sa discographie commencée depuis 2017. Officiant par ailleurs dans d’autres groupes, Ángel vautre ici ses riffs les plus sombres, à l’instar d’un SHAPE OF DESPAIR contrarié. ORNAMENTOS DEL MIENDO joue sa partition de manière intéressante et les ambiances crées sont fortement teintées de noirceur. Le growl de Ángel se déploie avec un déchirement agressif qui se drape d’une tessiture rauque."Escapando A Través De La Tierra" arrive à exprimer de belles choses. Je pense notamment au titre "Fragmentos De Espejos Rotos" qui, au gré d’effets sonores délicats, nous extirpe de notre stupeur en nous faisant entamer un voyage sinistre mais salvateur. "Flores Muerats" est aussi un titre similaire. Son approche Doom/Death atmosphérique avec de beaux leads et des passages lumineux portés par les claviers contrebalancent le désenchantement des invectives du growl d’Ángel. En extrapolant un peu je dirais que l’entièreté du disque est construite ainsi. ORNAMENTOS DEL MIENDO nous distille un Funeral Doom atmosphérique que des mélodies d’un Death Metal exécutent de manière perspicace.

Cependant, la grande linéarité des compositions empêche de s’attacher à des titres en particulier. Le seul remède pour partir totalement dans les contrées sombres et secrètes du disque serait de se décider de rompre avec soi-même totalement et de se laisser aller aux ordres de Ángel. Le Funeral Doom est un style déraisonnable diront certains mais je trouve qu’avant tout – et cet album de ORNAMENTOS DEL MIENDO le permet – il divulgue l’expérience de déconstruction de soi au sein d’un voyage lancinant et abrupt. "Escapando A Través De La Tierra" n’est point parfait mais il n’est pas moyen non plus. Je n’ai par exemple pas été foncièrement ébahi par les passages un peu dissonants et longuets de "Donde La Línea Termina", mêmes si ces effets sonores restent intéressants et sont du jamais vu dans ce style parfois trop propret et creux. Au final je dirais que ORNAMENTOS DEL MIENDO fait vœu d’expérience et continue ses avancées avant-gardistes et exploratoires dans le Funeral Doom Metal, présageant par la même un avenir prometteur parsemé – si le sieur Ángel performe tout autant – de nouvelles nimbes à découvrir. "Escapando A Través De La Tierra" rejoint donc pour moi le premier album "Este No Es Tu Hogar" qui m’avait bien saisi à l’époque et dont je me suis fait une joie de réentendre.

Si vous aimez le Funeral Doom mélodique et atmosphérique et que vous aimez Wën, vous savez bien ce qu’il vous reste à faire.