Il n'y a pas à tortiller du boule, autant la France peut être à la ramasse dans beaucoup de domaines, autant elle est à la pointe question Électro. La French Touch est de fait intemporelle. La simplicité du style à la française, tout en suavité, chillance et sex attitude a fait des émules dans le monde entier. Il était dès lors tout à fait logique que l'Hexagone impose son autorité et participe grandement à la formation de ce qu'on appelle la Synthwave. Si PERTURBATOR et CARPENTER BRUT font figure de noms cultes dans la scène, il ne faudrait pas occulter l'importance des États-Unis avec les bandes-son de John CARPENTER ou encore VANGELIS, le roi des compositions futuristes et planantes. Ne parlons même pas de KAVINSKY, essentiel pour comprendre toute la force de frappe française dans cette scène ô combien nostalgique et volontairement satirique. Reposant sur un mélange parfois peu subtil entre fascination pour la culture américaine des années 80 (époque Reagan donc) et emprunts au monde du jeu vidéo 8/16-bit bien old school, la Synthwave ne pouvait être portée que par la France, territoire vassalisé où le soft power américain est extrêmement puissant. Et dans le panthéon synthwavien international, CARPENTER BRUT se pose là, après plusieurs EPs de qualité qu'il fusionna en un "Trilogy" résolument mythique.

La pochette est une réussite, disons-le franchement. Elle nous permet d'observer les grands mythes de la Synthwave. Composée comme une vanité, elle comporte tous les symboles importants pour comprendre l'âme du genre. Le crâne de bouc central posé sur une table recouverte d'un tissu rouge sang rappelle le satanisme et le Black Metal, CARPENTER BRUT ayant, comme PERTURBATOR, des accointances avec cette scène. Le couteau sur la gauche est lié à la dimension Horror du genre, lorsqu'il explore les fictions 80s les plus sanguinolentes, en particulier les bons vieux slashers. Le masque à gaz renvoie à la peur du conflit nucléaire avec les Soviets durant les années Reagan. La pizza est le plat royal du geek dans son sous-sol qui tape du gros Donjons et Dragons et se fait bizu dans la cour de récré. Cette pizza est livrée par un jeune branché en rollers, le chewing-gum bien rose à la bouche et le lourd casque sur les oreilles avec son lecteur cassette. La grosse paire de lèvres parait faire tâche, mais ce serait oublier l'importance de la sensualité, de l'érotisme et de toute la fascination pour le Los Angeles des 70-80s dans la Synthwave. On peut d'ailleurs rattacher les lèvres aux palmiers en arrière-plan et au cocktail servi dans un calice, soit la "subversion" type que l'on retrouve dans un GTA : Vice City, emblème vidéoludique essentiel pour les artistes du genre. Un artwork-synthèse en somme, pour un album qui l'est autant. Porte d'entrée idéale pour un néophyte, œuvre classique pour un initié, "Trilogy" est un disque qui ne vieillit pas, comme nombre de rêveries Wave.

Son immortalité repose sur l'efficacité certaine de tubes légendaires. Entre les surpuissants "Roller Mobster", "Turbo Killer", "Invasion A.D" et "Le Perv" ou les atmosphères superbes de "Obituary", CARPENTER BRUT déploie un éventail large d'inspirations éparses mais parfaitement cohérentes. On comprend aussi aisément pourquoi le groupe a des aficionados parmi le public Metal. La structure des morceaux peut rappeler le genre, avec des crescendos explosifs ("Escape From Midwich Valley" et "Run, Sally, Run!" au final épique), et certains "riffs" pourraient être associés à une guitare bien lourde. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'Adrien (HACRIDE) prête renfort en live. Mais le secret de CARPENTER BRUT réside surtout dans ses mélodies imparables ("Paradise Warfare"), ses constructions de morceaux recherchées ("Looking For Tracy Tzu" est toujours exceptionnelle), et ses trouvailles qui font de sa musique un joyau cinématographique ("Anarchy Road" et son superbe chant). On visualise sans mal des films 80s avec une telle bande-son, entre les buddy movies policiers caractéristiques des années Reagan, les films de SF à la "Terminator" et autres horreurs indicibles type "The Thing" de Carpenter, tout y est, CARPENTER BRUT respire, transpire les années 80, celles où l'on chassait le communiste, où l'Amérique était tellement sûre d'elle-même que le moindre personnage avait des bras comme mes jambes, où il y avait les gentils et les méchants, et où même des saloperies d'aliens ne pouvaient que se faire dézinguer par le génie de l'Oncle Sam. C'est drôle d'avoir la nostalgie d'une époque où chaque fiction était un moyen de renforcer la propagande américaine bien impérialiste. Des fictions qui mettaient en valeur des flics sans scrupule qui butent des trafiquants de drogue à tour de bras, ou mieux, des flics augmentés qui ne s'embarrassent même plus des charmes de la modernité mais font le taf avec violence et fulgurance ("Robocop"). Enfin, la nostalgie est caractéristique de notre époque où tout semble stagner et paradoxalement progresser bien trop vite. On fantasme des temps plus doux, en oubliant que c'était bien la zone dans les rues de Los Angeles et New York.

Qu'à cela ne tienne, CARPENTER BRUT n'est pas là pour faire dans l'exactitude historique mais dans l'extravagance et la chimère. À ce titre, c'est un champion indiscutable, et "Trilogy" un des meilleurs albums du genre, blindé de bangers imparables, avec une pochette géniale, une production d'enfer et des thèmes fantastiques. On embarque dans la Cadillac mes brigands, direction un Los Angeles avec sa came et ses racailles, les flics bien musclés et les nanas en bikini en prime. Quoi c'est toujours le cas ? Et Carl Weathers, il est toujours là avec sa gueule de Sergent Johnson ? Non ! Alors fermez-la et en voiture !