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- Style : Blut Aus Nord, Rebirth Of Nefast
 

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AARA - Triade Iii: Nyx (2023)
Par DARK BEAGLE le 29 Mai 2023          Consultée 2012 fois

Adapter une œuvre littéraire en musique est un pari audacieux. Un film pose déjà la problématique d’une vision d’auteur face à celle que nous pouvions avoir, ce qui fait que nous sommes souvent déçus en sortant du cinéma ou en éteignant la télévision. Ce n’est pas ce que nous imaginions. Et pire ! Des coupes et des transformations ont été opérées, trahissant l’œuvre d’origine. Alors en musique, cela complique encore les choses car des notes, des mélodies, un chant, viennent remplacer l’image. Un balisage auditif qui peut être plus ou moins crédible selon les sujets abordés, mais qui demande encore une fois de faire travailler son imagination et d’admettre si oui ou non cela représente l’histoire que les musiciens ont essayé de traduire dans leur langage.

On citera bien entendu dans ce domaine "The Call Of Ktulu" de METALLICA qui, s’il ne s’embête pas avec l’orthographe, dégage une ambiance à la fois obscure et mystérieuse, mais surtout grandiose pour célébrer le culte de ce Grand Ancien. Pour rester dans le thème de Lovecraft, "The Music Of Erich Zann" par MEKONG DELTA fut également une excellente adaptation, respectant le fait que Zann jouait une musique qui ne ressemblait à aucune autre, disharmonique et hantée, ce que les Allemands ont reproduit à leur sauce avec beaucoup d’intelligence. Quand SCHAMMASCH a commencé à s’attaquer aux "Chants de Maldoror", les nuances de son Black Metal offraient également une relecture intelligente des textes de Lautréamont. En revanche, le travail effectué par les Suisses de AARA risque fort de faire date.

Le groupe a en effet décidé de reprendre "Melmoth l’Homme Errant" de Charles Robert Maturin, une œuvre gothique de la première moitié du XIXème siècle, moins connu que certains récits de cette époque car il arrivait à la fin de cette première vague littéraire. Un pavé de plus de sept cent pages, qui présentait une histoire assez complexe de pacte faustien et dont la narration n’était pas la plus aisée, avec ces histoires qui s’inséraient dans l’histoire. Un ouvrage d’une richesse absolue que Baudelaire rêvait de traduire avant sa mort – ce qu’il n’aura pas eu le temps de faire. AARA, lui, aura traité l’œuvre de Maturin sur trois disques. Le premier, "Eos", était déjà impressionnant dans la détermination des Helvètes à proposer une œuvre en noir qui dressait un portrait glauque du roman. Le second, "Hemera", nous plongeait toujours plus dans la fantasmagorie. "Nyx" apporte le final.

Et quel final ! En trois ans, le temps de composer et d’enregistrer cette trilogie (en se permettant de sortir un EP très qualitatif, "Phthonos", l’année dernière), c’est comme si AARA n’avait eu de cesse de relever le niveau de la musique proposée. "Triade III: Nyx" est l’effort le plus sinistre et le plus dramatique de cette trilogie en noir. Le Black Metal des Suisses reprend les recettes ancestrales du genre, en lui insufflant un souffle Gothique au travers des mélodies bien amenées et très présentes, parfaitement audibles, bien que la production grince un petit peu. Et ceci n’est absolument pas gênant, puisqu’elle contribue aux ambiances développées, qui se veulent parfois un peu horrifiques, comme pouvaient l’être certaines pages de l’œuvre dont elles s’inspirent.

Là encore, le travail de Berg est impérial, pour utiliser un terme que Mefisto affectionne particulièrement. Il crée les mélodies, définit le ton que prend chaque composition, alterne les nappes d’instruments pour créer une fantasmagorie instrumentale où les passages calmes servent de tremplins pour des passages plus acharnés, tout en tremolo picking et blast beats véhéments, mais qui sonnent parfois légèrement différemment que ceux que l’on entend d’habitude, J. accentuant son jeu de cymbales pour détourer les habitudes, construire quelque chose qui lui est propre et, par extension, qui devient propre au groupe. Il ne reste alors à Fluss que de poser sa voix.

La jeune femme a également la lourde charge d’adapter le texte pour créer des paroles qui font sens avec la pensée de Maturin, qui décrivent au mieux l’univers de Melmoth et sa portée anticléricale assumée (Maturin était protestant ; son livre était l’occasion pour lui de dresser un portrait noir et peu ragoûtant du catholicisme et de ses dérives) et terriblement en phase avec l’esprit originel du Black Metal. Nous retrouvons donc les grands thèmes de l’histoire ("Des Wanderers Traum", qui reprend le terme qui qualifie Melmoth dans la langue d’origine du livre). Un énorme travail donc, qui se veut respectueux du support d’origine.

Puis il y a ce chant, terrible, à la fois agressif et désespéré. Un scream effrayant qui ressemble à une trachéite mal exécutée, mais qui colle parfaitement à la musique développée par le groupe. Fluss est impériale dans son registre, elle pousse sa voix dans ses derniers retranchements, elle imprime un désespoir et une rage infinie qui nourrissent les compositions qui parsèment ce disque. Elle n’est pas une simple narratrice, ce serait trop facile, il n’y aurait pas de challenge. Elle interprète, elle donne corps à ses textes, elle constitue également une part onirique qui s’apparente énormément au cauchemar éveillé que représente Melmoth. Et il est également la répercussion vocale du rire terrifiant de ce dernier.

Et l’ambiance crépusculaire s’étend, avec une langueur féroce, de l’angoissant "Heimgesucht" jusqu’au firmament de "Edo Et Edam" (qui n’est pas la rencontre entre un Japonais de cette ère et un morceau de fromage hollandais – rhoo ça va, un peu d’humour quoi !). Tout n’est qu’obscurité, de cette pochette dépouillée au contenu musical, ce qui est le plus bel hommage au texte original de l’auteur : «  Toutes les couleurs disparaissent et le désespoir ne tient pas de journal ». Sentence terrible que AARA s’est échiné à restituer avec brio sur trois albums qui forment une suite unique et grandiose. Car oui, les trois doivent s’écouter à la suite et nous font glisser dans un univers nimbé de fantastique et terriblement effrayant. Les Suisses servent donc à merveille l’héritage d’un Black Metal qui se veut plus oppressant par les ambiances qu’il distille que par sa violence crue.

Avec "Nyx", AARA atteint le paroxysme de son concept autour de Melmoth donc. Il le fait avec un tel brio que je ne peux qu’applaudir à deux mains un tel chef d’œuvre. Oui, n’ayons pas peur des mots et appelons les choses comme il se doit. Les Suisses livrent là, outre l’album qui est magnifique, une trilogie tout simplement essentielle quand on aime le genre. L’adaptation est excellente, elle devient la bande-son idéale pour lire cet ouvrage ô combien essentiel de la littérature Gothique. Nous en parlions avec l’ami T-Ray il y a peu et nous en sommes arrivés assez spontanément au fait que AARA était la meilleure chose qui soit arrivée au Black Metal ces cinq dernières années. Et franchement, j’ai bien envie de nous croire !

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   DARK BEAGLE

 
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- Fluss (chant)
- Berg (guitare, basse, claviers)
- J. (batterie)


1. Heimgesucht
2. Emphase Der Seelenpein
3. Moribunda
4. Unstern
5. Des Wanderers Traum
6. Edo Et Edam



             



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