"Woe" veut dire malheur, détresse, peine, chagrin. Alors, si vous êtes du genre à vous lever du mauvais pied et chercher de la musique happy, foutez l'camp.

AN ABSTRACT ILLUSION, c'est du Death Prog d'une rare engeance ; aussi touchant que violent, il navigue rapido entre les deux océans, sans avertissement et sans égard aux amateurs de musique carrée et cartésienne. Alors, si vous vous reconnaissez et que "Illuminate The Path" vous a ennuyé, saprez l'camp... ou restez et découvrez.

Ce Metal Prog scandinave ratisse aussi large que les gauchistes jonglent avec la patience des centristes. Une musique aux teintes tantôt parfumées, tantôt blafardes, souvent ébènes comme la muerte. Un putain de maesltrom déjanté, apparemment hors contrôle, sans queue ni tête, qui se décline ici comme une seule et même compo d'une heure. Bonne chance pour savoir dans quelles eaux vous vous noyez, ou tabassez du mauvais grain, car les Suédois jouent tellement en dents de scie qu'on serait tenté de les taxer de trolls. Des trolls qui organisent une sacrée orgie, entrecoupée de moments de récupération salutaires, s'achevant sur une lumineuse spirale chatouillant l'immensité céleste orangée. Sexy, hein ?

Rarement ai-je entendu un album à tiroir (complémentaire oserai-je avancer) aussi mélangeant, et j'ose croire que c'est ce qui a charmé la planète Metol. Ah, parce que oui, au cas où vous n'auriez pas tenté l'expérience déjà, AN ABSTRACT ILLUSION récolte des lauriers pour cette hétérogénéité depuis la sortie de "Woe", remportant même la palme d'album de l'année noté par les fans sur Metal Storm. Je peux vous certifier qu'il faut être grand public et profond à la fois pour décrocher ce titre. Pas facile !

Et justement, comment ne pas évoquer le terme « difficile » à l'école de "Woe" ? Penche-t-on du côté émotionnel ou cerbère de la force ? Fait-on une moyenne des moments purement Prog qui seront limite supportables pour certains (le avant, pendant et après interlude bonbon 80s "Blomsterkrans", "Slaves" et son impersonnalité intéressante, le clash de puissance entre l'avant-dernière et l'ultime plage, qui en laissera des masses pantois, etc.) ou avalons-nous le buffet tel qu'il est sans l'éplucher comme un homard vivant ?

C'est votre calisse de choix !

En tout cas, si le trio suédois ne fait pas l'unanimité aux trois-quarts de "In The Heavens Above You Will Become A Monster" quand le chant féérique de Lovisa Strindell s'empare de nos esgourdes, ou lorsque le ton sur "Prosperity" change drastiquement à mi-chemin, ou si le basson, la clarinette et le violoncelle dispersés ici et là ne vous happent pas la fibre, ou que l'alpinisme éthéré sur "Tear Down This Holy Mountain" ne vous charme pas autant que la prise de conscience totale de l'œuvre quand elle a craché son fiel après au moins vingt écoutes, eh bien… Vous savez.

Pour les archivistes, impossible de ne pas penser à un enchevêtrement d'INSOMNIUM, NE OBLIVISCARIS et OPETH tellement ce Death/Doom/Prog blablabla est déstabilisant. Et quand on a écouté des centaines d'albums, on en a besoin. Cette sève éclairante, ce je-m'en-foutisme des conventions, ce doigt d'honneur aux soi-disant légendes du genre, ça fait un bien FOU.

C'est une décharge, un éclair, un baume, un réveil, un remède contre la stagnation et le « beaufisme » (en attente de brevet, AVFF, c'est mon terme). Cet album-concept sans interruption nous fait miroiter des espoirs divins et des films fantasmagoriques, de sorte que notre ébahissement, si on ne fait partie des deux catégories d'individus cités en intro, sera complet.

En parlant d'intro, si vous êtes attentifs durant "The Behemoth That Lies Asleep", vous aurez de très bons indices sur ce qui vous attend tout du long de "Woe". Assez bizarroïde et jaspée cette intro, j'en conviens, mais c'est ainsi AN ABSTRACT ILLUSION. Si comme moi vous êtes tombés amoureux de "Illuminate The Path", continuez votre route avec la trique brandie. Sinon, ben…

Note : 4,5/5.

Podium : (or) "Prosperity", (argent) "In The Heavens Above You Will Become A Monster", (bronze) "This Torment Has No End, Only New Beginnings".

Indice de violence : 2,5/5, une moyenne pénible à établir tellement on rue dans toutes les directions et puissances.