Il y a des artistes qui vous font grandir, éclore, vous remettre en question. A l’ivresse de la découverte succède le plaisir subtil de l’approfondissement, de la maîtrise, de l’expertise même, pour certains, et dans certains cas le danger de la lassitude, auquel seul l’éclectisme peut s’opposer. Bien que né en 1985, je vous avoue sans honte être passé à côté de toute cette vague Neo-Metal qui faisait grand bruit chez mes camarades. Alors qu’au début des années 2000 la cour du lycée ressemblait à un champ de bataille entre les partisans de KORN, les fondus de SLIPKNOT et les adeptes de SYSTEM OF A DOWN, je dessinais sur ma trousse (au blanco, comme tout le monde), les logos d’AXXIS, EDGUY et SCORPIONS. Chacun son plaisir, chacun sa découverte, mais à l’écoute du premier album des Frenchies de DROPDEAD CHAOS je me demande tout de même si mes préjugés juvéniles concernant ce genre musical ne m’ont pas fait passer à côté d’un certain nombre d’albums intéressants.

Car DROPDEAD CHAOS est présenté comme Neo-Metal, même si le terme de Metal Alternatif semblerait plus approprié tant le spectre des influences et des ambiances disséminées sur le premier album de la formation est large. Tout d’abord créé à l’aube du premier confinement sous forme de collectif à la vie éphémère, dont les premiers morceaux ont permis de lever des fonds reversés aux professionnels de santé, le sextet est devenu groupe alors qu’il a rendu plus concrets des projets d’enregistrements et de concerts. A la barre, et pas ordre non alphabétique, nous retrouvons ici Baptiste (SMASH HIT COMBO), Jacou (BLACK BOMB A), Boris (BETRAYING THE MARTYRS), Déhà (CULT OF ERINYES, IMBER LUMINIS, ACATHEXIS, SLOW), Nils (THINK OF A NEW KIND, SIRENIA) et Renato (FLAYED, LES TAMBOURS DU BRONX, TREPALIUM). Une réunion de belles pointures drivées par le producteur, également manager et compositeur, HK, qui porte ici une proposition artistique très intéressante. Car DROPDEAD CHAOS, avec ce premier album prêt depuis de nombreux mois (quelques morceaux ont été égrenés sur les plateformes depuis fin 2020), a créé quelque chose de grand grâce à une alchimie qui semble viscérale entre les différents membres du groupe. Comme l’explique Jacou, "en dépit de nos provenances, nous parvenons à faire un Metal que j’appelle "Alternatif", nous faisons quelque chose d’alternatif au Metal parce que nous mélangeons de tout. Il y avait également cette idée de revenir aux sources du Metal des années 2000, à notre sauce, avec une approche des années 2020. Nous y avons incorporé des éléments un petit peu plus extrêmes. Nous sommes parvenus à avoir un son bien à nous. Et c’est ce qui fait notre force." Dont acte.

Pour les profanes, les premières écoutes peuvent donc paraître chaotiques. Et justement, c’est là où le groupe veut en venir : créer une sorte de chaos, de noirceur profonde, un maëlstrom d’émotions entrelacées desquelles surgissent une lumière, un espoir, comme l’illustre le visuel de ce premier album. Rapidement, un motif de dessine, et les incantations tribales enivrantes de "Underneath The Sound", qui ouvre l’album, servent de préambule à une création audacieuse, intrépide. Revenons sur ce premier morceau qui met en place tout un univers, et se révèle finalement comme le meilleur titre de l’album. Il y a ici la puissance des guitares, le foisonnement des lignes de voix, ces arrangements résolument Metal auxquels se heurtent des envolées Hip-Hop bien dosées. L’interprétation est intense, furieuse, bouleversante. Ne manque qu’un élément que nous découvrirons plus loin dans l’album : des solos de guitares, rapides et virtuoses, et des twin leads tout droit venus de chez MAIDEN (à l’image de ces fulgurances, porteuses de lumière, sur l’excellent autant que bagarreur "Save Yourself"). La colère et la hargne prédominent ("Escape"), mais il y a de la poésie dans l’obscurité. C’est notamment le cas sur "Humans" dont la mise en son va chercher autant du côté de KORN que d’AVENGED SEVENFOLD.

L’album égrène ainsi sa dizaine de morceaux à l’intensité savoureuse. Des refrains surpuissants ("One Last Encore", "Sun") s’allient à des arrangements riches et variés qui font d’"Underneath The Sound" un pavé massif dont les aspérités renforcent l’impact. En fin d’album, il n’y a guère que "Dropdead", aux influences Hip-Hop trop marquées, qui peine à nous convaincre. Pour le reste, porté par le foisonnement de ses influences et par l’expérience de ses membres, DROPDEAD CHAOS livre un premier album à même de séduire les nostalgiques de la grande époque Neo-Metal autant que les fans de Heavy les plus conservateurs. Rassembleur bien qu’intransigeant, le groupe frappe fort et ordonne son chaos avec un savoir-faire délectable. Bien joué.