Ah la Boite à Demandes… Inépuisable source de découvertes, même pour les chroniqueurs les plus expérimentés d’entre nous. Vos suggestions développées savent attiser notre curiosité en quelques mots, et dans un élan d’enthousiasme incontrôlé, nous voilà à prendre des engagements insensés, pauvres de nous. C’est ainsi que je me retrouve avec la responsabilité de couvrir les méfaits des Parisiens de TIGERLEECH, six mois après la requête formulée. Il faut dire que celle-ci m’a pris par les sentiments, je cite : "Mélangeant diverses influences, Stoner, Sludge, Hardcore, le groupe affine et affirme son propre style.". Il n’en fallait pas plus pour aiguiser mon appétit.

Formé en 2013, le combo francilien constitué de musiciens de divers horizons nous sort donc en 2021 son second LP, le bien-nommé "Melancholy Bridge", et après plusieurs écoutes assidues, je me demande encore comment cet opus a pu passer à travers les mailles du filet NIMIesque. Il est vrai que faire son trou dans ce contexte moisi, encore marqué par la pandémie et les restrictions, avec tant de formations cherchant à reprendre leur activité mise au repos forcé, n’est pas une mince affaire. Mais quand même, bordel, il y a ici suffisamment de talent et d’éléments singuliers pour susciter l’intérêt d’un public friand de nouveautés. Car à l’instar de leurs voisins de RED MOURNING, dont j’avais relaté tout le bien que je pensais de leur "Flowers & Feathers" à l’occasion d’une récente chronique, TIGERLEECH marie les genres à la perfection, trouvant un juste équilibre entre ses sensibilités pour finalement constituer une identité propre, comme le remarquait si justement notre lecteur.

Si les genres cités en préambule et revendiqués par TIGERLEECH sont effectivement bien présents, j’y retrouve également un esprit assez proche du grunge de SOUNDGARDEN, même s’il serait réducteur d’effectuer une comparaison directe. Le riffing tantôt saccadé, tantôt sinueux mais surtout bien plombant de Fabien constitue une base sur laquelle vient se poser la voix habitée de Sheby, finalement assez peu Hardcore contrairement à mes attentes. On se retrouve successivement collés au sol par un son écrasant et notamment une section rythmique d’une belle efficacité, pour mieux décoller par-delà les cieux la minute suivante grâce aux lignes vocales, la complémentarité des harmonies entre les grattes et la basse étant également particulièrement délicate et recherchée.

La construction des onze titres est en cela assez remarquable, conférant au disque plusieurs dimensions et approches. En fonction des écoutes, il est tout à fait possible d’être davantage marqué par la lourdeur du son ou par les aspects planants des mélodies. Protéiforme, la musique du combo s’adapte à votre humeur de l’instant, signe d’une épaisseur bluffante pour un second essai qui lui confèrera sans aucun doute une belle durée de vie.

Si le son poisseux qui sied au genre s’exprime également de façon parfois bruitiste, la production reste malgré tout plutôt sèche et précise, ce qui n’est pas une habitude en la matière. Les arpèges posés ici et là y contribuent franchement, et je trouve l’utilisation de la guitare particulièrement intelligente et pertinente, venant apporter puissance ou respiration au moment adéquat. Si les soli ne sont pas systématiques, ils ne sont pas pour autant absents et viennent appuyer les harmonies et ainsi proposer un contrepoids intéressant à des rythmes le plus souvent écrasants.

Bon, il faut bien avouer malgré tout que tout cela ne respire pas l’optimisme et la joie de vivre. L’univers épique du Power Metal cher chez certains membres de la rédaction de NIME ne fait visiblement pas partie des codes qu’affectionne TIGERLEECH, qui nous relate plutôt une vision sombre et désabusée du monde d’aujourd’hui, entre dépression, égoïsme, colère et dénonciation de nos élites corrompues, les textes étant parfaitement ajustés aux compositions. Peu original me dire-vous, mais néanmoins pas si loin du compte sans aucun doute. L’élégant et intriguant artwork illustre d’ailleurs à merveille le propos, tant par ses tons ocre-gris que par ce personnage sonnant une forme d’alerte (ou de fin du game ?), vêtu d’un masque n’augurant rien de bon quant à l’état de la planète.

Tout juste pourra-t-on relever une trop forte homogénéité, voire une légère redondance entre les pistes, qui confère une dimension assez impénétrable à "Melancholy Bridge". Difficile de percevoir la lumière dans une telle obscurité, mais il est plus que probable qu’il s’agisse là d’un réel parti-pris de la part du groupe. Chipoter étant le privilège du chroniqueur, cette remarque n’enlève rien à la grande qualité de l’album, de la première à la dernière seconde.

Il y a décidément une scène française encore underground qui mérite franchement intérêt et soutien, quand tant d’entre-nous se lamentent que tel ou tel groupe US ne tourne pas plus dans nos vertes contrées. Pas besoin d’aller chercher de l’autre côté de l’Atlantique, les amis, soyons juste un peu plus curieux. Un grand merci au lecteur ayant porté mon attention sur TIGERLEECH, que j’espère pouvoir prochainement découvrir dans des conditions live qui devraient leur convenir à merveille, nouveau line-up à l’appui. J’en serai pour ma part. Et vous ?