La génération qui s'avance montre les signes d'une souffrance intérieure révélée dans la volonté d'une fuite. Aux États-Unis, le mouvement des « incels » est terrifiant : ces jeunes hommes asociaux, rejetés, qui plongent dans la misogynie la plus effrayante pour calmer leur douleur, sont les symptômes d'une communication qui paraît de plus en plus impossible entre les hommes et les femmes. Au Japon, les hommes sortent du travail et s'enferment dans des capsules de haute technologie dédiées à leurs plaisirs sexuels, et la natalité est en chute vertigineuse. Déjà mis en scène par la fiction de Houellebecq, la publicité, l'extension du domaine de la consommation à toutes les sphères de la vie, fussent-elles les plus privées, et l'individualisme croissant gangrènent la société de la modernité, "cette ère de l'oubli de l'être dans l'agir", comme l'affirmait le grand René Guénon. Le fameux boomer, lui, se contente de moquer sa descendance, affirmant qu’elle refuse de travailler, de se surpasser, de souffrir donc. Mais ce même boomer oublie qu’il a hérité d’un monde en paix offert sur un plateau d’argent par nos pères morts dans la boue, pères qui avaient pour la plupart d’autres idéaux que ceux d’une planète soumise à l’impératif de l’hyperconsommation et de l’industrialisation sans limites. Quels efforts cet individu a-t-il fait ? Comment peut-il se permettre de juger la génération actuelle, héritière d’une parenté décadente, qui proclama une ère nouvelle – le mouvement hippie – mais se contenta finalement de végéter dans un conformisme bourgeois, de dilapider son existence en matérialité, sans soucis pour le lendemain ? La génération actuelle a été privée des moyens d’action. La seule voie qui lui est offerte est celle de la modernité marchande et du capitalisme toujours plus monstrueux. Ainsi, des individus de plus en plus nombreux s'élèvent contre une société dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. Héritiers du romantisme de Rousseau, lui-même déjà étranger à son temps, ils s'isolent hors du monde, loin des hommes, et saluent le retour à la Terre, l'opposant à la civilisation moderne décadente. Parmi ces êtres solitaires, Brouillard, la divine présence derrière VERTIGE fait loi, et signe avec "Aux Solitaires !" un manifeste dédié à une génération sacrifiée.

Manifeste disais-je, car "Aux Solitaires !" transpire la passion, l'émotion, la colère mais aussi la fierté. La fierté d'une vie choisie au milieu du vacarme de la ville, du tumulte des conversations sans intérêt. VERTIGE, avant d'être du Black Metal de haute facture, est une œuvre poétique, et la poétesse seule derrière ce projet n'a aucune considération pour les pseudos-élitistes du genre comme le prouve "Les Grands Précipices", morceau Slam dont les textes feront vibrer les plus mélancoliques. Pourtant sous cette mélancolie se cachent une passion profonde et une volonté d'action. La superbe pochette est significative : Brouillard, sous ses apparences de romantique torturée, les cheveux au vent devant le spectacle merveilleux des montagnes, hurle le poing tendu vers le ciel, le cor sous le bras. Tout est dans l'action, l'affirmation du besoin de retrouver une vie simple, en contact avec la nature, de défier le confort, de se surpasser et de chercher cette adrénaline qui rend vivant. En somme, VERTIGE correspond à un cœur aventureux, soit, comme l'écrivait Dominique Venner, « [ce coeur qui] se reconnaît à ce qu’il tire son plaisir de ce qui serait pour les autres un enfer. Plus on en bave, plus forte est l’ivresse. ». Nous sommes face à une musique qui ne se résigne en rien, qui n'avance pas masquée, qui n'a honte de rien. Tout au long de "Aux Solitaires !", une seule certitude demeure : fuir la modernité libère, et la nature forme un socle sur lequel forger son bonheur.

Le propos de VERTIGE ne touchera pas les individus trop urbains, ou les modernes convaincus, mais il faut reconnaître à Brouillard son audace incroyable. Il y a une sensibilité folle dans cet album et une mise à nu d'une sincérité époustouflante. Et quelle meilleure musique pour former le contenant de ce bijou que le Black Metal atmosphérique ? VERTIGE ne révolutionne rien, mais tout est impeccable. L'héritage des grands BURZUM, de PAYSAGE D'HIVER se ressent dans le son, brouillard percé par des arpèges sublimes ("Seule"), et dans les aspects les plus massifs. Cela n’empêche pas VERTIGE de faire parler le blast, mais seulement quand il le faut, dans une mesure maîtrisée, qui rappelle la majesté de WOLVES IN THE THRONE ROOM. Mais ce que VERTIGE n'oublie pas, et qui fait de "Aux Solitaires !" un grand album de Black Metal, c'est le divin riff, la mélodie incandescente, celle qui pénètre l'âme comme une flèche de lumière. Ainsi, que dire des merveilles qui émaillent "Aux Incompris Des Incomplets", certainement le point culminant de l'album ? Entre sa ligne de départ, sublimissime et son final incroyable, aux allures d'hymne à la solitude, voilà un morceau qui marque au fer rouge, et dont le texte montre la qualité de manifeste de cet album destiné à devenir culte :

"Aux misanthropes ! Aux coeurs déçus !
À la diète sociale comme seul salut !
Aux Hommes trop grands pour être deux !
Aux âmes trop belles pour ces lieux !"

"Qu'est-ce qui cloche chez moi ? [...] "Pourquoi le monde moderne me fait aussi mal au ventre ?" se demande Brouillard dans le magnifique "La Peur Des Regrets". Rien ne cloche chez vous, mademoiselle, mais tout cloche dans ce monde auquel vous refusez de participer. Je vous salue bien bas, vous envoie mes prières les plus sincères, et vous remercie du fond du cœur pour cet album. Il m'a pris aux tripes, m'a saisi l'âme et laissé un sourire immense derrière toute cette mélancolie diffuse. Je respecte en vous ce courage de l'isolement, moi qui ai déjà pensé à me retirer dans le calme d'une haute montagne, avec les cimes tapissées de neige comme seul horizon, l'amour du ciel et des bêtes en partage, le cœur empli d'une joie simple, loin des vicissitudes de la folie moderne. Je n'ai pas choisi - pour le moment - cette route, mais je trouve en VERTIGE un compagnon de route, une âme sœur, un refuge, un manifeste à la gloire des esprits solitaires.

« Plus ils se rapprochaient du faîte de la montagne sacrée et plus chaque arbrisseau, chaque arbre semblait posséder sa propre nature divine comme si, tout naturellement, il était lui-même devenu un dieu.
Lorsque, par exemple le vent attrapait les extrémités des grands chênes, dispersant leurs fleurs en nuée jaune pâle qui planait ensuite à travers la solitude forestière de la montagne, Honda sentait en lui que ce tableau éclatait d’esprit divin, comme une brusque décharge électrique. »

Yukio Mishima.