"J’vais tous les bouffer!"

C’est sans doute peu ou prou l’idée principale qui devait illuminer de ses lettres de feu l’esprit tumultueux du jeune et talentueux guitariste Al Joseph, fraîchement diplômé du prestigieux Berklee College of Music de Boston, alors qu’il en franchissait les lourdes portes pour pénétrer dans l’épaisse jungle musicale US… peuplée de ses jolies plantes carnivores et sans oublier ses (nombreux) miroirs aux alouettes.

Et force est de reconnaître que cette graine de guitar-hero y croit à sa destinée ! Spirituellement entouré de ses idoles guitaristiques (Joe Satriani, Steve Vai ou encore John Petrucci), cet hyperactif hargneux du manche à cordes se met rapidement au travail et compose des titres instrumentaux en rafale, bien décidé à se faire (rapidement) une jolie place au soleil. "All Of Creation", première galette de l’univers Al-Josephien, déploie ainsi ses ailes en mars 2017 mais ne récolte sans doute pas le succès ni les écoutes escomptées par notre petit génie... qui va recruter des musiciens (dont son frère à la basse) et se coller au chant, utilisant pour cela un bel organe vocal rocailleux à souhait tout en étant capable d’une grande souplesse et de surprenantes nuances. Basé sur un mélange de néo-Rock nimbé d’une touche de Metal accrocheur de la côte Ouest sans oublier la petite touche de Grunge râpeux qui va bien, HYVMINE est née, et va rapidement faire entendre au monde sa musique aux relents sauvages mais n’oubliant pas de rester stylistiquement mélodique et consensuelle !

Paru en janvier 2018, "Earthquake" intègre quatre des dix instrumentaux contenus sur "All Of Creation" en y ajoutant la voix vibrante et haute en couleurs d’un Al Joseph qui, il faut le lui reconnaître, s’en sort très dignement car rappelons-le, le Berklee College couronnait une scolarité plutôt orientée sur la guitare, ce qui n’empêche pas notre petit surdoué de bien savoir pousser la chansonnette ! Cette guitare qui d’ailleurs, se veut réellement la star discrète mais résolument omniprésente d’un opus qui ne serait rien sans elle : riffs débridés, lignes rythmiques martelantes ou compressées à souhait, gimmicks accrocheurs en veux tu en voilà sans oublier les nombreux soli en embuscade… Mister Al Joseph et son complice Alon Mei-Tai se font réellement plaisir sans pour autant en faire une tartine et risquer de péter l’ambiance avec un énième album à la seule gloire de la Déesse Guitare: le dosage est fin et parvient ainsi à éviter l’indigestion que certains pseudos guitar-heroes provoqueraient en sombrant égoïstement dans l’onanisme du manche à six cordes… HYVMINE ne tombe pas dans le piège, loin de là.

Développant une musique tant déliée que puissante sur laquelle la voix d’Al Joseph ou sa guitare viennent tisser de jolies dentelles urticantes, HYVMINE c’est aussi une belle technicité instrumentale au service d’un ensemble particulièrement offensif ! La première moitié de "Earthquake" se déroule d’ailleurs comme une cartouchière de mitrailleuse lourde où le combo ne réinvente certes pas le style mais donne ici un joli coup de pied dans le barnum : qu’il s’agisse du foutrement bien calibré "Shift" dont la belle montée en puissance nous fait atteindre le pic d’un solo pointu et chirurgical pour une ouverture vraiment réussie ; du lent et pilonnant "Mirror Master" où les riffs saccadés et la voix enjôleuse d’un Al Joseph en grande forme nous conduisent vers une belle séquence finale en forme de grand huit… ou du très gracieux "Earthquake" dont les arpèges d’introduction amorcent un crescendo intelligent et culminant avec un très chouette solo claquant à ravir avant de redescendre vers des fonds plus doux… HYVMINE fait face aux vagues, les éperonne et ne chavire pas !

… Mais la machine finit quand même un tantinet par s’essouffler !

Car en contraste avec ce bel envol, la seconde partie de "Earthquake" peine réellement à poursuivre cet élan initié par les cinq premiers missiles: l’énergie est toujours bien présente, pas de doute, mais les rythmiques nerveuses (re)deviennent des poncifs somme toute très classiques, la voix entraînant un chant pas original pour deux sous, pour une musique qui au final revisite en mode carte postale toutes les figures de style du genre sans vraiment s’impliquer ou ne serait-ce que ruer vraiment dans les brancards ! Quid du très conventionnel "Elysium" qui, malgré une énergie indéniable, demeure sagement dans les chemins balisés du Rock-néo-Metal grungy en évitant sciemment tout début de commencement de surprise ? … Que dire en outre du trapu et pêchu "Fire Escape" et de son manque cruel d’originalité tant dans le fond que dans la forme ? Ou encore du clôturant "Cliffanger" dont la seule (bonne) surprise est contenue dans le retour inattendu d’arpèges associés à un embryon de solo guitare sur la fin du morceau ?

Bref, tu l’auras donc compris Ô lecteur attentif, HYVMINE m’aura d’autant plus déçu sur cette queue d’album que cette jeune formation avait été prompte à me charmer avec sa première salve de brûlots ! Droit comme un piquet dans ses bottes de jeune diplômé brillantissime, l’ami Al Joseph a peut-être eu l’ambition un chouia élevée de vouloir pondre un opus de neuf titres brut de décoffrage alors qu’un EP aurait sans doute largement suffi dans la mesure où il embarquait les cinq premiers titres…et qu’il s’exonérait ainsi d’une quelconque envie de remplissage ! "Earthquake" est donc un très bon album si on s’arrête à la douce et mélancolique fin du titre éponyme… Il reste bon mais descend quand même d’un cran si l’on va jusqu’au bout de "Cliffanger" et de ses arpèges graciles. Pour sa première livraison incluant une partie vocale, notre besogneux guitariste diplômé du Berklee College propose donc un album bien armé et qui s’écoute avec plaisir, sachant que quelques titres sortent globalement du lot… un lot restant néanmoins très formaté aux sonorités du lieu et de l’époque : agréable mais pas indispensable !

Littéralement vampirisé par une bonne vingtaine de moustiques qui agissent de concert, je déboule dans une petite clairière au centre de laquelle j’aperçois un jeune et talentueux guitariste tenant en respect une colonie de plantes carnivores… Armé de son unique instrument, ses notes semblent séduire les Dionaea géantes qui se dressent devant lui… l’est courageux le bougre ! Sachant que l’un des pêchés de jeunesse reste la propension à dégainer trop rapidement, je souhaite à Mister Al Joseph de prendre un peu plus de temps et de corps pour donner une belle suite à ce "Earthquake" auquel j’attribue un sévère, mais selon moi juste, 3/5 : Il n’est pas du genre à se décourager le jeune !

- pour la belle ouverture : "Shift",
- pour le crescendo rondement mené : "Earthquake",
- pour éviter ça la prochaine fois : "Elysium".