Multi-instrumentiste talentueux doublé d’un compositeur inspiré, l’ami Sean Thompson s’avère également être un solitaire invétéré parvenant à assumer le paradoxe d’être (très) fidèle en amitié. Profondément ancré dans ses terres américano-occidentale de Tacoma, à un jet d’ampli du Pacifique et des cousins canadiens, cet amoureux des riffs alambiqués comme des galaxies musicales baroques d’un RUSH, d’un KANSAS, d’un QUEENSRΫCHE ou encore d’un FATES WARNING (on est à deux pas de Seattle !), taille sa route contre toutes les modes, plus souvent seul qu’accompagné, depuis l’aube des années 2000.

C’est tout d’abord avec quelques potes du terroir tacomien qu’il fonde ODD LOGIC, vaisseau amiral de l’univers Thompsonnien dans lequel il injecte son souffle artistique le plus profond : un Metal Prog riffé, soigné et profond. Alors même que le line-up se délite, ce rêveur opiniâtre reste seul aux commandes pour finalement prendre en charge tous les instruments, la voix mais aussi le mixing et la prod cela va sans dire ! Mêlant à ses arabesques artistiques porteuses d’une musique tant ambitieuse qu’immersive des récits de mondes fantasyco-imaginaires, Thompson transforme cette richesse de composition en une chaleur sonore vibrionnante qu’il parvient à décliner sur chacun de ses opus. Ce travail d’orfèvre est en outre couronné en 2013 par un concert imaginaire comme seul Sean l’aurait rêvé ("If We Were Live") et pour lequel il s’entoure exceptionnellement, pour quelques vraies représentations, d’autres musiciens du cru (dont un certain Stephen Pierce à la guitare et un Dan Blackson derrières les fûts).

Avec le premier de ces messieurs, Sean Thompson sortira ensuite de sa belle tour d’ivoire artistique pour expérimenter l’aventure collective de GRAPHIC LIGHT THEORY dont la setlist live accouchera d’un opus inédit de Prog’Rock made in Tacoma ("Endless Exodus", 2014, et kroniqué sur ton Metalo-Webzine préféré ben voui !). Retournant à son destin solitaire d’ODD LOGIC pour composer puis publier le troublant voyage intérieur de "Penny For Your Throughts" (2016), le Maestro renonce une fois de plus à son splendide isolement pour le très convaincant "Effigy" (2017) sur lequel il n’assure plus que la voix-guitare-synthé (!) puis l’ambitieux "Last Watch Of The Nightingale" (2019) où ODD LOGIC ne se compose plus que de notre homme orchestre et du robuste Pete Hanson resté à la batterie.

Manifestement rentré dans une période "un batteur = un projet", notre hyperactif de la composition décide fin 2021 de s’accoquiner avec son ancien complice de l’époque du vrai-faux live de 2013, en la personne de l’adroit Mister Dan Blackson, pour fonder NOTHING IN WRITING comme projet annexe à ODD LOGIC, pour lequel il égraine rapidement de trop courts samples sur les réseaux sociaux et dont le premier album nous intéressant ici, "New Lives For Rent", paraît le 05/08/2022. Accrochant très sincèrement tant à la musique d’ODD LOGIC qu’à la personnalité artistique hors norme du bonhomme, je me jetais naturellement sur cette livraison comme un homard en rut sur une boite de bisque : affamé mais vigilant !

Et force est de reconnaître que le côté parano-soigné de Thompson est toujours bien présent : pochette sombre mêlant les obscurités brumeuses comme la tenue vestimentaire d’une silhouette tout droit sorties du dix-neuvième siècle à une enseigne au néon tapageur digne de Blade Runner, l’ensemble est associé à une jolie phrase du romancier d’origine japonaise Kazuo Ishiguro ayant reçu en 2017 le prix Nobel de littérature pour, dixit la prestigieuse assemblée, avoir "révélé, dans des romans d’une grande force émotionnelle, l’abîme sous l’illusion que nous avons de notre relation au monde"… Tout un programme ! L’art musical de notre amical insulaire sera-t-il à la hauteur du menu ?

Sans pour autant basculer dans la métaphore de comptoir, on peut d’abord dire qu’avec un "New Lives For Rent" volontairement en demi-teinte, Thompson et son complice perdent en rugosité ce qu’il offrent en finesse par le biais d’une musique qui, si elle sait rester accrocheuse, se veut résolument plus intimiste et accessible que ce à quoi le fan basique d’ODD LOGIC est accoutumé. On est ici clairement sur une œuvre plus consensuelle que les variations abrasivo-pirouettantes ou encore les séquences de growls auxquelles l’ami Thompson a pris coutume de se livrer sur ses diverses pérégrinations musicales… Est-ce à dire qu’il en perd en qualité ?

À mon sens, pas vraiment, et ceci pour les (bonnes) raisons suivantes :
Au travers des dix titres qui meublent "New Lives For Rent", la musique de NOTHING IN WRITING conserve une remarquable cohérence d’ensemble : convaincante dans sa puissance comme dans ses nuances, elle demeure vivante, soignée, et empreinte d’atmosphères qui s’adressent sans détours aux émotions d’un auditeur happé. Notre duo fait de la musique avec talent mais surtout pour se faire plaisir ; sans arrières-pensées bling-blingo-commerciales ou le caprice de s’offrir la dernière Merco à la mode : On est ici entre potes et l’essentiel est de se faire du bien !

Frôlant le bon Pop Rock avec des séquences très soft voir limite atmo, NOTHING IN WRITING n’en oublie cependant pas ses origines métalliques en se permettant des incartades plus musclées où des riffs abrupts viennent secouer le cocotier, portés par la voix tant puissante qu’élastique d’un Sean Thompson en grande forme : le très punchy "New Life" à la rythmique décalée et à la mélodie entêtante, le syncopé et prenant "Moment In Time" fort de son refrain martelant ou encore le très réussi instrumental "Alien Sky Limits" avec sa ligne velue, son thème lead aux relents légèrement orientalisants mais surtout sa séquence de variations délirantes, viennent donner un coup de boule hargneux à tous les mauvais procès selon lesquels ce nouveau projet s’orienterait vers un gentil commerce de soupe…

À l’inverse, mais sans pour autant y perdre son âme, le duo s’aventure sur des terres plus progressives et consensuelles dont les ambiances plus légères, à l’image de claviers bien présents et soutenants, n’entravent en rien le côté dynamique et rythmé… mettant du coup en valeur des accélérations ou des riffs d’autant plus appréciés qu’ils se font plus rares : Le bellement punchy "Roads Below" et son thème mélodique accrocheur, le riche "Home Again" dont les lignes dépouillées font d’autant plus aimer les montées en puissance ou même le plaisant "Gateway" aux arpèges saturés tellement charmeurs…

Ayant à titre personnel un peu moins apprécié les expérimentations, trop doucereuses à mon goût, représentées par le simplissime "Virtual Fall" ou le quelque peu frustrant "Here And Alive" dont la fraîcheur ne parvient pas à équilibrer un cachet un peu pâlichon, je ne jetterai néanmoins pas le bébé avec l’eau du bain… en espérant surtout que NOTHING IN WRITING ne s’enfermera pas pas dans ce type de compos.

Le mentor talentueux d’ODD LOGIC, associé pour l’occasion à un batteur loin d’être manchot, nous sert donc ici un projet à la fois proche par l’esprit mais bien plus nuancé dans la forme de son horizon habituel. "New Lives For Rent" et sa musicalité soignée s’écoute avec une certaine gourmandise… quand on adhère par ailleurs à l’univers musical de Thompson : ce qui est mon cas ! Opus qui, tout en conservant l’esprit Metal Prog’ underground d’ODD LOGIC, "New Lives For Rent" glisse sur un versant plus Rock et plus accessible : il reste une très belle réalisation aux riffs accrocheurs et aux ambiance captivantes.

Engoncé dans ma robe bleue et son tablier blanc, ma perruque blonde me tombant inesthétiquement sur le front, je fais face au Lapin fou Thompson armé de sa guitare à sonnette. Je lui remets alors un billet doux sur lequel est inscrit un 4/5 enflammé dans le fol espoir qu’il me laisse accéder au terrier qui me ramènera chez moi… Son regard illuminé dément son sourire : Il va jouer !

- pour la claque d’ouverture :"New Life"
- pour le refrain oppressant et le bridge alambiqué : "Moment In Time"
- pour l’instrumental de 1ère classe : "Alien Sky Limits".