Depuis que je publie laborieusement mes immondes gribouillis sous forme de Kro sur NIME, je dois admettre que parmi les plus belles rencontres musicales qu’il m’ait été donné de faire, figurent celles correspondant à de truculents hommes-orchestre habillement dissimulés derrière des noms de formations dont tout semblait pourtant indiquer qu’elles semblaient plus fleurter avec le principe du big band plutôt que celui du Maestro à tout faire. L’illustration la plus cocasse en est représentée par le vrai-faux mais très convaincant combo d’ODD LOGIC au sein duquel le "compositeur-chanteur-guitariste-claviériste-bassiste-batteur" mais aussi producteur, l’inénarrable Sean Thompson, va jusqu’à enregistrer un Live totalement bidon pour contenter ses fans en mal de scène comme pourrait le proposer un groupe traditionnel garni de plusieurs zicos.

Pour moi, insignifiant metallus-simplex, pur produit des années 80, ce genre d’exploit était seulement réservé à une divine élite, et ne pouvait se produire qu’une fois par siècle (à l’image de cet extra-terrestre de Joe Satriani et de son magistral "Surfing With The Alien")…. et bien je me trompais ! Car porter à soi tout seul l’entièreté d’un album, voire d’une discographie caractérisée par une musique très fréquentable et des interprétations instrumentales réellement talentueuses, tout en étant l’apanage d’un Sean Thompson du fin fond de son Amérique Tacomesque, est également la qualité première du Diable de Tasmanie dont nous causons aujourd’hui et de sa créature musicale FIERCE DEITY… Attention, ovni !

Metalleux solitaire farouchement épris de Stoner sur son île croisant au large de l’Australie, l’ami Jonathan Barwick est tout sauf un bébé lémurien ou un simple d’esprit exilé aux antipodes : chanteur et guitariste de la formation locale TABERAH entre 2005 et 2019, il profite de la mise en stand-by du groupe pour enclencher sur une carrière solo dans laquelle il n’envisage les autres musiciens que sous forme de guest au compte-goutte : le Roi, c’est Moi !

Pour nommer cette formation musicale unipersonnelle, ce musicien touche-à-tout prend l’une de ses références préférées en matière de jeux vidéo et baptise ainsi sa machine à rêves du nom de l’un des personnages du jeu "The Legend of Zelda: Majora's Mask" qui selon lui reste une référence en la matière (et là, pas de débat car je n’ai jamais joué à ce truc !). FIERCE DEITY est né. Il va falloir l’habiter maintenant… Passionné, mais pas fou, Barwick ne s’emballe pas pour autant vers des aventures qu’il n’est pas sûr d’achever ou qui le mettraient sur la paille : sûr de sa musique et de son art, il va volontairement mais prudemment égrener les titres aux travers de sorties singles successives (deux en 2019, trois en 2020) et commencer ainsi à faire connaître au monde son Metal massif, mais sachant rester mélodique, aux mélopées électriques hypnotiques et dont les gaz de combustion donnent un tournis rageur. Les pochettes, sans faire directement référence au jeu sus-nommé, marquent leur différence avec un style dessiné et épuré, illustrant régulièrement un voyageur encapuchonné cerné par de grands et beaux paysages aux couleurs oniriques… Le rêve est lancé !

2021 se voudra une année charnière car FIERCE DEITY, non content de produire un premier EP dont le titre condense les trois morceaux qui le composent, "Power Wisdom Courage", sortira également en toute fin d’année une jolie compilation intitulée "The Trials" et qui regroupera quand à elle les cinq singles déjà parus les années précédentes.

Ok… Merci Haplo : on a vu l’historique, la localisation géographique qui fait rêver, le syndrome du Maestro multi-instrumentiste producteur qu’on a déjà rencontré ailleurs, on a effleuré le style et même parlé des références gamo-culturelles… mais au niveau musique… ça donne quoi FIERCE DEITY sur ce "Power Wisdom Courage" paru en septembre 2021 ?

Ben au niveau musique, on peut dire que l’ami Barwick ne se laisse pas prendre au piège de compositions labyrinthiques aux structures que personne ne comprend ou fortes de variations qui durent des plombes avec de longs développements atmosphériques qui laissent le temps de réfléchir à la place de la musique dans l’évolution de la recette du clafoutis durant la seconde partie du XIXème siècle en Europe occidentale...

Puissante – Mélodique – Accrocheuse.

La première impression et l’énorme qualité conséquente qui décrit au mieux la musique proposée par FIERCE DEITY sur "Power Wisdom Courage" c’est avant tout la grande claque sonore qu’elle te met dans les oreilles ! Des riffs puissants et massifs à décrocher les lustres, des rythmiques rouleau-compressives aux variations ciselées et aiguisées à souhait, sont portés par des lignes basse-batterie en béton armé au fil de morceaux aux cadences hypnotiques qui laissent KO quand on en atteint le terme. Cette épine dorsale cloutée est présente sur les trois titres de l’EP qu’elle n’enferme pas dans un modèle unique mais qu’elle lie indiscutablement avec cette signature artistique au fer rouge : FIERCE DEITY est d’abord une grosse guitare bien en avant qui cadence et structure… de la puissance. La ligne rythmique déboîtante à souhait de "Power" est là pour l’illustrer (nonobstant une batterie adroitement programmée sur Superior Drummer 3 selon le maître lui-même !).

Sur ces bases en plomb fondu viennent se greffer des mélodies épiques et nerveuses. Ponctuellement agrémentée par des chœurs, la voix claire et perçante de Barwick y relaie très correctement la puissance des instruments pour y intégrer une énergie mélodique habillement travaillée et particulièrement entraînante. Notre Maestro multi-pistes incorpore cette cherche mélodique sur des passages volontairement respirants et qui non seulement permettent à l’auditeur décoiffé de reprendre son souffle à l’écoute d’harmonies joliment tournées mais s’achèvent souvent sur des (ré)accélérations où la force motrice évoquée plus haut est de nouveau la bienvenue ! La petite ligne clavier mélodico-obsessionnelle puis le refrain ultra-catchy d’un "Wisdom" monté sur ressort illustrent très justement cette science (maîtrisée) mise en œuvre par notre compositeur austral.

La cerise sur le gâteau est en quelque sorte constituée par la patte du Chef qui mélange et agence ces éléments avec une touillette foutrement talentueuse, arrivant à intégrer à ces éléments une dynamique abrasive et accrocheuse qui transforme l’écoute en un pèlerinage musicalement jouissif où les 32’20 min de "Power Wisdom Courage" paraissent finalement bien courts. Des soli guitares aériens et techniques à ravir (merci aux guests Joe Haley de PSYCHROTIC et Nick DiSalvo de ELDER), des jeux de claviers dynamiques mais pas envahissants comme on aime (merci David Van Pelt d’ACOLYTE !) viennent embellir cet ensemble (déjà) vertueux pour produire au final une musique fichtrement addictive. Le lent et épique "Courage", armé de sa ligne rythmique lourde et délicieusement pilonnante, explose sur un passage final où la voix et les chœurs subliment la mélodie principale. Réellement bluffant !

Avec cet EP armé de trois longs titres ma foi très convaincants, notre soigneux trublion tasmanien parvient donc à développer puis étaler sa science exacte du riff compact mâtiné de mélodies catchy, le tout pimenté aux lignes rythmiques et guitaristiques ciselées : ceci pour un résultat plus que recommandable ! Il ne me semble néanmoins pas superflu de m’interroger à l’idée de savoir si cette recette vertueuse, qui fonctionne sur la courte distance d’un EP, ne risque pas de finir par faire des ronds dans l’eau sur la durée qu’implique un opus studio ? Et Barwick ne s’y trompe sûrement pas en ne proposant jusqu’à maintenant que des formats courts dans lesquels son art séduit sans lasser… C’est peut-être ça la sagesse (wisdom) ! À suivre donc.

Marchant sans discontinuer sur les hauts plateaux tasmaniens de Derwent longés au nord par l’immense lac Pedder depuis maintenant plus de cinq longs jours, je me suis enfin trouvé un abri au fond d’une petite combe où je peux installer mon bivouac et allumer un feu dont la lumière me réchauffe l’âme. Bercé par les rythmiques envoûtantes de "Power Wisdom Courage", je trace un 4/5 convaincu dans la terre ocre. Je rabats mon grand capuchon et ferme les yeux sur la pensée que Jonathan Barwick aura l’audace de produire bientôt un album studio complet… J'ai hâte !

- pour la puissance : "Power",
- pour les mélodies et le rythme : "Wisdom",
- pour le côté épique : "Courage".