Tours et détours. On pourrait résumer le processus de création de ce troisième volet des aventures de Jon Schaffer et Hansi Kürsch de la sorte. Quinze ans après un "Touched By The Crimson King" réalisé sur les derniers quarts d'heure d'une vie, à une époque pas forcément idéale pour Jon Schaffer qui a toujours regretté un côté pas totalement "fini" de certains titres et d'une réflexion plus globale sur la trame du disque, qui était une des grandes forces de l'éponyme qui fête ses vingt ans donc. Les deux hommes aux agendas bien remplis et séparés par un océan ont toutefois su profiter des outils technologiques et de la sérénité acquise par leurs formations respectives pour lancer sérieusement le chantier d'un troisième album que plus personne n'espérait.

Jon a beaucoup écrit ses dernières années, et le retour en forme de "Incorruptible" coïncide avec un regain d'inspiration, si bien que la cohérence et l'équilibre de l'album l'ont amené à laisser de côté plusieurs compositions plus atmosphériques, qui auront trouvé un écho favorable une fois passées entre les mains et les cordes vocales du sonneur de Krefeld. Quelques idées qu'Hansi gardait lui aussi de côté pour un éventuel nouveau projet avec son partenaire américain et la création de ce nouvel album était lancée. Et il s'en est tramé des choses en coulisses avant sa sortie, entre la tournée des festivals (avec un magistral passage par le Hellfest, malgré une setlist réduite pour la circonstance et des petits soucis d'accordage pour Jake Dreyer, cf notre live-report 2019) et le rachat par Century Media des droits des deux précédents avec leur remasterisation (discutable) et leur ressortie avec des pochettes revues et (amochies selon moi). Je garde précieusement mon digipack du premier album avec sa pochette dépliante qui révélait cette mort armée de son fiddle au graphisme toujours aussi dramaturgique.

Il faut bien dire que ce troisième album allait sans doute proposer ce que pas mal de monde attendait à savoir une alliance des ambiances sombres et presque gothiques du premier et le riffing brutal du second… Et c'est là que je remercie les artistes ! Car non seulement les deux compères ont mûri, mais la musique propose aussi une approche assez inédite chez DEMONS & WIZARDS, ces influences qu'ils ont rapidement qualifiées de Classic Rock. Alors ne vous attendez pas pour autant à y déceler un riff à la BLUE ÖYSTER CULT ou un refrain à la KISS ou encore des couplets façon Ian Gillan.
C'est davantage autour de l'écriture des titres, qui savent à la fois être profondément Metal et charpentées sur un riffing ultra solide et inventif… tout en restant assez primal en fin de compte. Ajoutez à cela une cohérence rythmique intraitable avec le talentueux Brent Smedley et vous vous surprendrez régulièrement à headbanguer ("Wolves In Winter", "Final Warning", "New Dawn") sur une production maousse costaud qui laisse ces riffs groover.

Et ça on n'avait pas l'habitude certes, mais certainement pas non plus de les voir alliés à cette façon personnelle qu'ont Hansi Kürsch et Jon Schaffer de créer des ambiances fantastiques sur fond de guitares en son clair et acoustiques. Secondés par une armada de choristes chevronnés (John Jaycee Cuijpers ainsi que plusieurs habitués des albums de BLIND GUARDIAN) voire carrément d'un chœur classique (qui fait drôlement son effet sur "Diabolic"), les têtes pensantes de DEMONS & WIZARDS se sont donnés les moyens de proposer un disque abouti. Certes l'album n'est pas parfait, le riffing étant parfois la seule arme à disposition pour faire tourner un morceau (pas que le travail soit déshonorant), comme sur "Midas Disease", mais la plupart du temps le pari est gagnant, en particulier sur les morceaux qui prennent leur temps pour révéler leurs nuances ("Diabolic" est en cela un opener parfait), "Timeless Spirit" et bien sûr le mastodonte "Children Of Cain", devenu la plus grande fierté de DEMONS & WIZARDS pour son vocaliste, et dont les dix minutes passent en un éclair).

DEMONS & WIZARDS est parvenu, quinze ans après "Touched By The Crimson King", à réaffirmer son identité tout en allant de l'avant, faisant coïncider textes et musique ; le morceau sur Kevin "Split" retranscrit très bien le combat de diverses personnalités, ce qui lui autorise de nombreux tiroirs tout en ne s'égarant pas dans les ornières du Progressif, et bien sûr le biblique "Children Of Cain" où parties acoustiques, électriques et vocales sont en totale osmose, où le conteur Hansi Kürsch nous guide, tantôt presque au second plan et fantomatique, tantôt vindicatif, et toutes les nuances de sa palette y passent, de quoi déjà saliver sur le prochain BLIND GUARDIAN. Ce "III" n'est pas le type d'album à figurer dans les tops, ni à susciter une hype qui dépasse le cercle des aficionados du combo (qui sont eux-mêmes d'abord des fans d'ICED EARTH et/ou de BLIND GUARDIAN), et pourtant il coche habilement toutes les cases : personnalité, exécution et interprétation, profondeur, recherche artistique, production au cordeau, riffing de qualité, et j'en passe. Comme c'est le cas depuis plusieurs années avec le Gardien Aveugle, l'album ne révèle pas ses charmes instantanément et demande à l'auditeur un minimum d'implication. Le jeu en vaut vraiment la chandelle.