"Our Cursed Rapture". Tel était le titre du premier album d’ENFOLD DARKNESS. “Notre Maudit Ravissement”, en français. Et s’il y avait de quoi nous ravir les oreilles de temps à autre sur cet album, le quintette du Tennessee en est certainement plus sorti maudit que ravi, avec le recul. Pressé pour la première fois en 2009, ce premier opus promettait une suite chaque année dès 2011… puis 2012… et 2013… Bref : le deuxième album des Américains, qui devait sortir peu après le premier, a mis huit ans pour devenir réalité, puisqu'il n’est paru qu’en cet été 2017...

Huit années qui ont eu tout d’un chemin de croix, entre différends contractuels, changements de line-up, etc. Et même une fois ce deuxième album en boîte, intitulé "Adversary Omnipotent", le désastre n’a cessé de suivre le groupe, avec le suicide de son nouveau bassiste, Todd Honeycutt. Un garçon arrivé dans le groupe pour pallier au passage de James Turk aux guitares, suite à la fuite de leur gratteux en chef Mike Low, certainement échaudé par les déboires rencontrés par ENFOLD DARKNESS. Déjà que le départ de Mike avait porté un sacré coup dur au combo...

"Adversary Omnipotent", donc. Quel meilleur titre pour rendre compte de l'adversité permanente à laquelle la formation de Nashville a dû faire face durant ces huit années de galère ? Cet album fait donc figure de catharsis, et même si ça n’est pas officiellement le cas, ça l’est en fait. ENFOLD DARKNESS y a mis toute sa frustration, toute son agressivité, toute la noirceur et la mélodicité qu’il pouvait y mettre… Résultat : une œuvre de 67 minutes ! 1h07 d’un Black/Death Mélodique qui, il faut bien l’avouer et même si l’on aimerait dire le contraire, tape vite sur le système. Trop, c'est trop.

L’on voudrait traduire en gentillesses les circonstances atténuantes qui font que ce deuxième album a dû attendre 2017 pour faire suite à son aîné de 2009. Sauf que l’on ne peut pas. Je ne peux pas. Ce serait malhonnête envers tout le monde : le groupe, les lecteurs, l'équipe de NIME, moi-même… ENFOLD DARKNESS a perdu beaucoup en huit ans. Il a d’abord perdu ses belles qualités harmoniques avec Mike Low. Des qualités qui faisaient qu’on ne se lassait pas de jouer en boucle des morceaux comme "Dead In The Brine" sur "Our Cursed Rapture", pour ne citer que le titre le plus réussi du premier opus.

James Turk et Elijah Whitehead ont beau maîtriser la technique du déboulé de manche, ils n’ont pas la qualité de leur prédécesseur pour tisser des riffs dont on se souvient : leur art guitaristique manque de relief et propose par trop souvent le même type de plans, de mélodies, de soli… Même si certains d’entre eux parviennent à embellir réellement des morceaux bien mornes. Le groupe a aussi perdu son sens de la concision, qui le montrait capable d’administrer en trois ou quatre minutes autant de violence toute mélodique qu’en 6 ou 7 aujourd'hui, et avec plus d’efficacité.

Sur "Adversary Omnipotent", cinq morceaux dépassent les 6 minutes et ce, sans se différencier franchement les uns des autres. Leur écoute en devient éprouvante, d’autant que certains d’entre eux se suivent de très, très près. Quand un lent et mesuré "The Dirge Of The Surrogate Invictus" - véritable respiration sournoise - succède à un rugueux "The Test Of Wisdom", ça va encore… Mais qu'il faille encore se farcir "Summoning The Archons" puis "Vanish Into Damnation" pour enfin conclure le disque, non ! Parce qu’entre 2009 et 2017, ENFOLD DARKNESS a également perdu son sens de l’à-propos.

“Droit au but”, le groupe ne sait plus ce que ça veut dire. Car voilà qu’il étend et ne cesse plus d'étendre des tunnels de riffs sans âme au croisement du Black et du Death Mélo, toujours sur le même tempo, ou presque. Les interludes que sont "Invocation Of Na'ak Ba'ran" ou "Arise, Morning Star, Into The Netherworld" ne varient pas suffisamment les ambiances pour fournir une respiration digne de ce nom. Et puis cette voix d’Andy Nelson, nouveau vocaliste du combo… Quelle mono-expressivité ! Une heure à la subir, on n’en peut plus ! Cette dernière chose qui faisait la personnalité d’ENFOLD DARKNESS, j’ai nommé la voix Filthienne ou Strnadienne de Justin Corser, on ne l’a plus. OK, ce dernier manquait de personnalité car sa voix se rapprochait de grogneurs reconnus dans le genre. Mais Nelson en manque encore plus car sa voix ressemble à des milliers d’autres chanteurs…

Suis-je exagérément sévère avec "Adversary Omnipotent" et ce qu’est devenu ENFOLD DARKNESS ? Je me suis longtemps posé la question en rédigeant cette chronique, et en écoutant et réécoutant l’album pour être certain de ne passer à côté d’aucun moment de génie musical, ni même d’un disque aux qualités cachées… Mais non, rien n’est caché, ici. Les musiciens expriment tout ce qu’ils ont à exprimer. Sans fard. Et sans surprise, hélas. La doublette "Lairs Of The Ascended Masters" / "Liberator Of Mages" pourrait bien être l’arbre qui cache la forêt, avec ses mélodies et soli accrocheurs qui rivalisent presque avec celles de "Our Cursed Rapture". Mais non, derrière elle, le désert. Un désert parsemé de cactus, qui piquent tous pareil, sans faire bien mal toutefois. Ils irritent mais n'infectent pas. Et dans ce désert, c’est ENFOLD DARKNESS qui s’est perdu lui-même.