Le Monolithe se dresse impérial face à tes yeux ébahis. Imposante construction alien, il semble foncer vers le ciel, en flèche d'ébène. Tu oses frôler sa surface d'une main peu rassurée. Il est lisse et froid comme la mort, avec ce quelque chose d'angoissant au contact qui te repousse comme un primate devant le feu. Tu te crois dans "2001: A Space Odyssey", alors qu'en fait tu es face à la structure ultime, l'habitat naturel, l'oeuvre d'art synthétique du Système sur lequel tu aimes bien cracher ta rage depuis que tu as découvert son existence. Un dildo géant, sur lequel il manque des veines bien vénères et vénéneuses, mais que l'actuelle érection triomphante annonce une décennie de souffrances pour ton petit cul d'innocent.

Le Dildo de l'Angoisse c'est la superbe construction rêvée dans la ville de Germania que fantasmait Hitler ; c'est la tour Trump protégée par deux-trois tarés avec des pancartes sur la 5ème avenue de Manhattan; c'est la tour du Ministère de la Paix dans le monde d'Orwell : à société sans vie, structure sombre et trop propre. La verticalité du Dildo est celle dépeinte déjà par CULT OF LUNA dans son excellent "Vertikal", qui a fait des émules, dont CRANIAL, imposant Panzer allemand à la rigueur légendaire.

Sorte de Merkelator de la Fin des Temps, CRANIAL est composé de membres d'OMEGA MASSIF, déjà connu pour son manque de tendresse et son art du riff-cataclysme, celui qui vient atomiser l'espace comme le napalm les belles rizières vietnamiennes. Si sa ressemblance avec CULT OF LUNA est beaucoup trop flagrante, "Dark Towers/Bright Lights" démarre pourtant comme un mugissement reptilien, dans la droite ligne du "Through Silver In Blood" de NEUROSIS, avec ses percussions infernales venues rappeler la cadence à laquelle va marcher le monde dans les années à venir.

Le Dildo de l'Angoisse c'est bien sûr le Pouvoir concrétisé sous une forme géométrique. Un qualificatif qui impose précision et finesse, comme la musique de CRANIAL. Entre la lourdeur Sludge d'OMEGA MASSIF et le groove de PELICAN ("Bright"), CRANIAL propose des compositions progressives qui comportent leur lot de riffs mémorables. Si les atmosphères manquent de recherche, a contrario des Suédois qu'ils semblent admirer justement, le reste est percutant à souhait, surtout avec une production aussi solide. La puissance de CRANIAL permet aux guitares de bien ravager la nuit, la fin de "Dark" étant un parfait exemple de force de frappe. On pourrait reprocher à CRANIAL une tendance à vouloir être trop parfait, trop propre, mais ce serait oublier que son propos se doit d'être illustré par les bons moyens. Parler du Dildo de l'Angoisse, c'est jouer finement, dans la plus pure tradition germanique, sans artifices trop grossiers, mais avec la rigueur et la rudesse nécessaires.

Aussi "Dark Towers / Bright Lights" est-il façonné dans le même matériau terrible que le Dildo, il représente son trop-plein de perfection, son fascisme ténébreux, le mot "Ordre" qui écume sur les lèvres des catastrophistes. Loin du chaos de NEUROSIS, CRANIAL est un tireur d'élite, tout est exécuté avec un sens du devoir digne des soldats franquistes : ça sent la poudre depuis le front perforé du condamné. Chaque riff qui vient s'écraser rappelle Hiroshima, chaque accalmie parle du fascisme libéral nouveau, qui, sous ses apparences doucereuses se révèle plus meurtrier que jamais ("Towers", rampante et massive). Un très bon premier album donc, encore timide sur la peinture de son univers, et avec un final plus mou, mais qui annonce une suite à suivre de très près.