DYSTOPIA NÅ! est une jeune formation norvégienne s'inscrivant dans le vaste et contesté mouvement du Post-Black Metal. Ceux que ce type de musique ne rebute pas d'emblée auront la curiosité de découvrir ici un groupe extrêmement prometteur, au style travaillé et très personnel : l'on peut constater d'un certain attrait pour les groupes de DSBM, sans toutefois que l'aspect dépressif ne se concrétise à la façon d'un TRIST ou même d'un LIFELOVER, c'est-à-dire que les Norvégiens préfèrent utiliser une approche mélancolique et contemplative plutôt que d'accentuer le côté malsain et psychologiquement instable de ses compositions. Ils font également montre d'une grande créativité dans la recherche d'arrangements musicaux originaux, chose on ne peut plus bienvenue dans un milieu où l'inventivité fait facilement défaut.

"Syklus" est donc leur premier disque. Et quel disque ! L'on sent déjà une grande maîtrise de la composition et un confort certain vis-à-vis de leur identité musicale : ils ne sont pas hésitants et brouillon, mais bien déterminés à produire de la qualité plutôt que de tomber dans la facilité. Leur Metal est le plus souvent lent, ponctué d'effets d'ambiance (voix, bruits), et celui-ci transmet ainsi les émotions contenues dans leur musique en stimulant l'imaginaire de l'auditeur.

L'on est ainsi plongé dans un univers singulier, un monde urbain aliénant l'être humain de ses semblables, une société glauque et impersonnelle où l'individu se perd dans une modernité qu'il ne parvient plus à contrôler. L'on erre dans les rues sous la lumière blafarde des rares lampadaires qui éclairent la chaussée, et le seul paysage qui s'offre au regard est une vaste forêt de béton armé sillonnée de vallons goudronnés. L'idée de la dystopie est très présente dans la musique : le sentiment de mal-être qu'elle transmet reflète celui de l'Homme condamné à vivre dans un système qui le déshumanise de par la nature-même de son fonctionnement. Cet album véhicule une certaine noirceur, une vision désabusée de la vie.

Au niveau de la musique, le style de DYSTOPIA NÅ! évoque volontiers celui de LANTLÔS, fortement basé sur les ambiances dépressives et les passages atmosphériques Post-Rock. Les titres ne sont pas agressifs : ils puisent dans le Black leur force de conviction, mais laissent le soin au Post-Metal d'adoucir le résultat pour le rendre plus léger, plus aéré. L'on retrouve cette acidité dans le son des guitares qui plaît tant aux groupes de DSBM, mais elle est intégrée aux morceaux de telle façon à ne pas en rendre l'écoute éprouvante. Une importance certaine est également donnée au chant clair, qui mène les passages les plus calmes de l'album et permet de les démarquer des moments où le chant Black, dépressif sans en faire trop, reprend les rênes. Il vaut également la peine de noter l'utilisation de nombreuses séquences instrumentales, élément très présent dans le Post-Metal, mais qui est ici très bien mis à profit et ne donne pas l'impression de servir de remplissage, bien au contraire : elles participent directement à la cohérence de l'œuvre en amenant les changements d'ambiances et en les liant entre eux de manière fluide, avec une mention spéciale pour le rôle des claviers dans ce processus.

En résumé, "Syklus" est bon, et même très bon. Un peu court peut-être (quarante-deux minutes, rien d'anormal, mais l'on aurait été comblé avec une dizaine supplémentaire), mais au contenu très riche, qui se doit d'être écouté d'une seule traite pour pouvoir mieux en profiter, les titres n'ayant de sens que liés les uns aux autres. Je pourrais m'étendre plus longuement sur le développement du contenu du disque, mais cela serait bien inutile et ennuyeux ; je vous enjoins plutôt à jeter une oreille sur cet album, une création artistique très réussie qui prouve que le Post-Black contient des pépites musicales à découvrir de toute urgence.