Durant les quelques années qui ont clos le siècle passé, le Metal d'avant-garde norvégien émergea comme une nouvelle tendance stylistique qui, même si certes confinée à une petite élite de musiciens aux idées novatrices, marqua significativement l'univers du Metal. Certains groupes, tels le fantasque ARCTURUS ou l'invraisemblable VED BUENS ENDE, ont ainsi obtenu leurs lettres de noblesse grâce à des chefs-d'œuvre qui font encore office de références aujourd'hui.

Mais il fut l'un d'entre eux qui resta dans l'ombre durant près de deux décennies, et pour cause : deux cassettes autoproduites sous le nom de TAARENES VAAR en 1996 et 1997, puis le silence absolu jusqu'au 17 novembre de l'année 2014, date à laquelle un vinyle sombrement nommé "Manimalism" fait son apparition en toute discrétion chez les disquaires. Et quelle ne fut pas la joie de votre serviteur lorsque, fortuitement, il accueillit au creux de son oreille les premières notes de "Demons In Tuxedos" : on lui proposait une escapade à travers l'espace-temps, un voyage vers une autre époque, soit la Norvège des années 1990. Attachez vos ceintures, la barre des 88 mph vient d'être atteinte !

Une fois imprégné par l'atmosphère unique qui se dégage de la musique, l'on se plonge dans un univers singulier fait de bizarreries qui évoquent plus un morbide apéritif dînatoire organisé par un diable habillé d'un costume trois-pièces, échangeant des mondanités sur la luxure et la perversion d'un air nonchalant tout en pinçant entre deux doigts finement manucurés le pied d'un verre de Sherry, que les habituels fumets de sang de porc frais et de cave humide émanant des productions de Black Metal lambda.

D'ailleurs, l'appellation "Black Metal" est même abusive en ce que, malgré un goût prononcé pour les dissonances malsaines caractéristiques de ce genre hérité de sa période TAARENES VAAR, MANIMALISM prend ses distances avec ses coreligionnaires d'antan comme FLEURETY ou VED BUENS ENDE…, qui étaient restés résolument liés à ce style musical. "Décalé" est probablement le qualificatif qui sied le mieux à ce petit bijou de composition : décalé avec son temps, décalé dans son propos, décalé dans sa vision de la musique. Le groupe semble évoluer dans d'autres sphères, au-delà des banales préoccupations des mortels, savourant dans sa propre décadence le caustique reflet de celle de ses congénères… MANIMALISM n'en a cure, de la bien-pensance et de la morale ; il vogue au-delà.

Malgré la qualité indéniable de cette œuvre, il y a tout de même lieu d'émettre un léger soupir de contrariété face son seul véritable point faible : un petit manque d'originalité pour certains de ses titres, qui les empêche de se démarquer afin de rivaliser avec les meilleurs d'entre eux. "Carnal Catering Service" ou "Romance", quoique bons, n'atteignent pas les sommets de "The Dandified And The Devilish" ou encore de "The Cocktail Party To End Them All" ; vu la relativement courte durée de l'album (moins de quarante minutes), il est dommage qu'il ne soit aussi jouissif que de la façon dont il a commencé de bout en bout.

Si "Manimalism" en lui-même est une bien agréable surprise, il eût été de bon ton qu'il en fût ainsi pour chaque chanson, ce qui l'aurait propulsé au rang des chefs-d'œuvre immortels de l'Avant-garde aux côtés de "Min Tid Skal Komme" et "Written In Waters".

En définitive, l'on fait face ici à une production hautement qualitative qui ramène au goût du jour ces sonorités si typiques et délicieusement dérangeantes de l'Avant-garde Metal norvégien de la fin du XXe siècle. Une mention spéciale se doit d'être accordée au chant de Member 001 : macabre simulacre d'un crooner aux airs suffisants, son timbre donne un cachet tout particulier aux chansons de l'album et accentue la sensation de se trouver à un gala sordide où le vice s'évertue à se dissimuler derrière un ironique masque de fausse respectabilité. Une réception de démons en tuxedo, en somme.