Je suis sur le cul. Avec le nombre d'albums que j'écoute depuis dix ans, pour qu'un me fasse perdre le nord, il doit frapper fort dans mon angle mort sans me laisser le temps de répliquer. Les Anglais de EYE OF SOLITUDE ont réussi à me passer k.o. avec leur troisième grosse brique de Doom/Death poignant, d'une puissance et d'une subtilité absolument merveilleuses. Une superbe prise pour le label français Kaotoxin.

Ce qui est fou avec ce "Canto III" quand on y songe est que le groupe a réussi à le mettre au monde à peine huit mois après un E.P. et un an après avoir sorti son second disque. Ce dernier était tombé dans les bacs un an presque jour pour jour après leur premier ! Imaginez ! Plus de trois heures de musique de qualité créées en trois ans, faut le faire ! Signe que EYE OF SOLITUDE n'a pas de temps à perdre et veut à tout prix remplacer les cadors du genre. Ils auraient tellement pu se planter à trop tirer comme ça... Mais non.

Au niveau des textes et, in extenso, des ambiances, le groupe ne réinvente rien, même s'il ne tricote pas de dentelle. La faucheuse n'est jamais loin ; penchée sur vous pour aspirer votre dernier souffle de suicidaire ou voguant dans sa barque sur le Styx, attendant le bon moment pour vous asséner le coup de grâce. C'est quand même à du Funeral Doom musclé de haute volée auquel on a droit ici, alors il est normal que l'imagerie soit forte et omniprésente. Ça me rappelle le dernier album d'ISOLE, que j'avais adoré, mais disons en plus couillu. Avec ses six tombes imposantes, "Canto III" a de quoi intimider la concurrence...

Mais il faut être patient. C'est du Doom. Ne vous surprenez pas d'entendre les mêmes notes au piano pendant plus de deux minutes avant que ça décolle ou prévoyez de nombreux passages atmos et lyriques pouvant évidemment dépeindre les pesants moments d'égarement (ou de recueillement) de notre héros principal, la victime des lacérations infligées par le quintette. À 76 minutes pour six pièces, "Canto III" se laisse apprivoiser tranquillement et brûle les boyaux comme un bon scotch.

Mais ce qui attire davantage l'attention sont les parties offensives du disque, qui saisissent souvent en une fraction de seconde. EYE OF SOLITUDE varie énormément ses tempi, bluffant ainsi sans réserve l'auditeur vulnérable. Prenez par exemple "Act I: Between Two Worlds (Occularis Infernum)", morceau-fleuve en montagnes russes qui débute mollo, mais qui accélère ensuite graduellement jusqu'à une tempête de riffs mélodiques dantesques. Ce procédé sera répété sur quelques autres plages, dont les deux suivantes. D'ailleurs, dès que vous aurez écouté en boucle les cinq dernières minutes de "Act III: He Who Willingly Suffers", vous pourrez mourir. Le reste importera peu tant ces longues et envahissantes minutes sont exceptionnelles.

EYE OF SOLITUDE intègre aussi des lamentations et des complaintes, soit en solo par l'impressionnant chanteur Daniel Neagoe (qui délaisse alors sa grosse voix de matador) ou en chœur, intensifiant ainsi la facture Funeral Doom de l'ensemble. Non vraiment, il y a eu de la recherche de ce côté, car on se sent très confortable et englobé, sans tomber dans les stéréotypes. De même, rares sont les chances d'espérer des jours meilleurs sur "Canto III", les Anglais harponnent la bête et la gardent couchée, dans la boue. On nage en pleine désolation, la grisaille prédomine. Il est clair que la faucheuse ne ratera pas sa cible ; elle attend simplement que les clairons sonnent pour lui donner le feu vert, le temps que EYE OF SOLITUDE achève son travail de démolition en douceur.

N'oublions pas enfin les nombreuses envolées guitaristiques et la solide partie rythmique qui nous bercent et assomment les tympans. Les Anglais sont de sacrés musiciens en plus d'être d'habiles tisserands. Ils ont aussi choisi de livrer leur noire poésie dans l'écrin le plus étincelant possible, alors vous pouvez me croire quand je vous dis que "Canto III" sonne comme une tonne de briques. Aucune place à l'interprétation, on entend chaque inflexion, on ressent chaque émotion. Et bordel, on ne se gêne pas pour se resservir.

Du grand art de la part de ce jeune groupe à l'avenir prometteur.

Un point pour la surprise.
Deux autres pour la qualité des compositions et de la production.
Un pour les moments mémorables.
Un dernier pour la beauté de ce Doom/Death, devenu un de mes styles préférés avec les années.

Une note parfaite parce que EYE OF SOLITUDE la mérite.

Watch my own funeral
Fall with every tear
I bleed
No more reality
Suffering is real
The titans who granted
Soul's demise
My death

Adieu.