Dire que cet album était attendu serait assez réducteur. On nous avait promis un album pour 2010, appelé "L'Alchimiste" et, du jour au lendemain, GRIS devenait invisible sur la toile, plus de site, et sa poésie envolée avec, plus rien. On pensait le groupe mort, pas de nouvelles et encore moins de date prévue pour la sortie d'un nouvel album. Sepulchral Prods m'a dont bien fait plaisir en m'apprenant que l'album tant espéré verrait enfin le jour sans doute en 2013.

Et, six ans après, GRIS est tout d'abord devenu plus mature. On pouvait difficilement prévoir ce que les Québécois allaient nous proposer en cette année, et ce fût une grande surprise pour tout le monde lors de la première écoute de ce double CD "À L'Âme Enflammée... À l'Âme Constellée". Fini les pleurnicheries, fini les lamentations lancinantes et autres chagrins, GRIS n'est plus ce groupe dont on reprochait le côté dépressif trop prononcé, trop naïf. La recette a été clairement revue, et la production également. Je me souviens avoir parlé de GRIS à des personnes et on m'a souvent répondu qu'on n'aimait qu'un seul morceau du dernier album, "La Dryade". Je les comprends, d'ailleurs ce morceau est un pur chef-d'œuvre. Allez savoir si GRIS les a écoutés, ce nouvel album me donne l'impression d'un Black lointainement Dépressif, Atmosphérique, tout de même typique du groupe, parsemé de touches qui rappellent à chaque fois "La Dryade", quelques notes de piano, quelques accords acoustiques, un violon venu intensifier le tout. On retrouve un peu le même type d'atmosphère, ce côté acoustique sans tomber dans la tourmente d'une intro à la "Cicatrices".

C'est ce qui lui donne cette aura plus mature, faisant évoluer sa musique pour le meilleur. Cet album semblerait même être la suite de MISERERE LUMINIS (groupe qui a sorti un album en 2009 avec les membres de GRIS et Annatar de SOMBRES FORÊTS), avec par exemple "Nadir" qui y ressemble énormément. La nouvelle sonorité des guitares, plus douce et grinçante à la fois, est loin de l'overdose de saturation à laquelle on avait eu droit. Cette ambiance lourde, celle d'un orage à venir si spécifique de MISERERE LUMINIS, un ensemble si massif qu'il semble détruire tout sur son passage, c'est bien repris chez GRIS. Rien que le début de "Les Forges" me confirme cette idée.

Plus globalement, on dirait que le groupe s'est assagi. Mais ce n'est pas un défaut ici, au contraire, c'est un Black moins agressif, toujours porté par le thème de la mélancolie, finalement plus poétique sans vouloir être le plus sombre possible. À propos des textes, c'est extrêmement subjectif, et je sais que la plupart des amateurs de Black trouvent ceux de GRIS trop peu intéressants. Ce n'est pas mon cas, et j'ai toujours été fascinée par la manière qu'ils ont de toucher juste, de pointer du doigt l'évidence et de la porter à ébullition par la poésie. Rien que l'artwork laisse une idée beaucoup moins clichée que le précédent opus, artwork d'ailleurs tout simplement sublime, réalisé par un artiste français, Fursy Teyssier. L'atmosphère reste sombre, un peu occulte, un peu abattue. Mais la façon de l'amener diffère totalement, ici la guitare est souvent doublée d'autres instruments à cordes qui la complètent, la basse nous donne quelquefois la principale mélodie, un chant féminin s'introduit, la batterie se fait plus aérée, et de nombreuses pauses acoustiques et lentes s'inscrivent au milieu des morceaux. Rien que "Les Forges" illustre parfaitement certains de ces points, ou "Dil" et sa bonne moitié acoustique et néo-classique en crescendo, morceau que les fans avaient déjà pu écouter sur le net avant la sortie de l'album.

C'est presque un nouveau GRIS qu'on découvre, avec déjà tout simplement un changement de logo, mais aussi plus varié, qui sait alterner, et qui prouve à nouveau que des compositeurs de Black Metal peuvent également composer quelque chose de doux et de simplement beau (et si vous avez lu ma kro express de l'opus précédent, vous devez avoir vu que c'est ce qui me plaît principalement dans ce groupe, sa façon de montrer une beauté pure sans fioritures). Malgré l'apparence simple de cet album, sa complexité se trouve dans le fait qu'on doit écouter plusieurs fois l'album pour comprendre, pour l'apprécier comme il se doit. J'aurai l'impression de me répéter, mais il faut tout de même une sensibilité particulière pour adorer ce double CD, mais si aucun morceau, ou même aucun passage ne vous touche, ce serait vraiment surprenant. GRIS est touchant car il vomit musicalement et poétiquement ce qui nous est proche : les émotions, et l'humanité. Un magnifique texte en parle, à l'intérieur du boîtier, sans être le texte d'un des morceaux. Les mots sont un aspect de leur musique qui n'est pas du tout laissée de côté, et qui a son importance.

Si les transitions, quelques morceaux d'une à quatre minutes, sont plutôt bien placées et importantes, les éléments les plus importants et intéressants se trouvent être les morceaux les plus longs. Comme je l'ai déjà dit, "Les Forges" rassemble toutes les nouvelles idées de cet album. Mais il est loin d'être le plus intense. Je pense plutôt aux morceaux du second CD, comme "Seizième Prière" ou "Une Épitaphe De Suie". Ceux-ci gardent une certaine touche de l'extrême mélancolie d'autrefois (je pense notamment au chant poignant d'Icare sur "Seizième Prière"), tout en s'adaptant au nouveau chemin pris par GRIS. Le groupe garde malgré tout ce qui fait sa spécialité, un contraste omniprésent entre Metal Extrême et une ambiance plus lumineuse et douce. Le groupe n'a jamais si bien porté son nom, à mi-chemin entre la noirceur et la lumière.

GRIS a pris une nouvelle voie, on sort du cliché pour arriver à un nouveau degré de leur musique, plus noble et plus riche. On pousse ici toutes les limites du Black Metal, et on ne saurait même pas comment placer correctement le groupe face à cette étiquette. Je pense que tous ceux qui ont aimé le précédent album en feront de même pour "À L'Âme Enflammée... À l'Âme Constellée". Mais l'avantage ici, c'est que ce double CD se propose aussi à ceux qui n'étaient pas emballés par ce qu'ils ont fait auparavant. Une nouvelle page s'est tournée, on retrouve le meilleur de GRIS, amélioré, retravaillé. Six ans qui valent le coup ? Oui, sans trop s'avancer, c'est un album à retenir de l'année 2013.

Note réelle : 4,5.