Quatre ans qu'j'suis à la rue, ouais. Les gens m'exaspèrent, je ne sais pas pourquoi, mais ils me mettent en colère. Surtout ceux de mon quartier, là, p'tits fricards d'mes deux. Et vas-y que j'fais les boutiques tous les mardis, et vas-y que je me saoule jour et nuit en fin de semaine, sans raison. Moi j'ai des raisons. Cons de riches va... Ah t'es fier hein. Tu sens bon, t'es bien coiffé, t'es bien habillé. Tous des crevards j'te dis. Quoi je gueule ? Bah ouais faut bien me faire entendre, t'es gentil toi ! Je fais du bruit oui. Marre de ce quartier trop tranquille, trop carré, trop brillant. C'pour ça que j'ai choisi cette ruelle. Ouais 'sorte de décharge publique, l'impasse des ordures qu'ils appellent ça. Même les éboueurs ne veulent pas s'y aventurer. Ça pue hein ? Ça sent le moisi, la mort, la maladie. Rien qu'à respirer cet air t'as des frissons. Tu vas crever.

Nan touche pas à ça. Touche pas à ça j'te dis ! Ce sont mes jouets. Ouais une baguette en fer et une boite de conserve. Et ouais le râteau je m'en sers aussi, tu s'ras gentil de laisser tout en place si tu veux pas manger le tas de vermisseaux qui se trouve à ta gauche. Ouais ceux qui mangent ton sac à l'instant, c'est ça. Bah que veux-tu, faut rien laisser traîner ici. Ou alors t'es sale comme moi. Ça, ils aiment pas. Ah bah ça s'entretient ouais. Au fil des mois t'sais, ta peau d'vient bleue, tu commences à sentir tes os qui tirent ta chair. Tu ne fais plus qu'un avec toi même en un sens... Ouais non le râteau ça me sert à créer des éboulis d'ordures, ça fait un vacarme monstre ces trucs, ça craque, ça frétille, ça groove même parfois, c'est beau c'qu'on peut créer avec d'la merde. Ouais et pendant c'temps j'tape comme un dingue contre la boite de conserve. Ca m'fait marrer. Ah bah ouais ça donne souvent la même chose, mais le but principal c'est de faire du bruit, pas de créer des symphonies ou je ne sais quelle merde. Pas encore eu de plaintes non. Ça t'inquiète pas, les voisins n'entendent rien étant donné qu'ils ont tous barricadé leurs fenêtres à cause de l'odeur. Et même s'ils appelaient les flics, ces cons auraient jamais les couilles de venir jusqu'ici, tellement ce lieu empeste. Ah ouais mais j'suis entraîné moi maintenant.

Mais t'sais j'étais pas seul avant, j'vais une bonne femme. Perdu mon taf, des dettes... tu connais la chanson. Quand j'ai appris que cette salope me trompait avec je ne sais quel blaireau.... Ah bah ouais j'l'ai tuée. Elle et l'autre con. C'est là que je remercie les vermisseaux. Appliquées ces petites bêtes. T'as vu. 'Fin j'sais pas pourquoi j'te parle, t'es comme les autres, un putain de gros con sans cervelle qui court après un but, une vie, un avenir. J'me marre. Bande de tocards. Tu fous quoi déjà là toi ? Tu te baladais. Trompé de direction j'imagine mon pauvre imbécile. Mais bon, c'est bien d'avoir un brin de discussion de temps en temps. Après t'en es réduit à pousser des cris t'sais, des trucs de damnés, fou furieux t'vois. J'ai vécu la chose ouais, genre violent. C'était y a un an. Va savoir comment j'ai réussi à retrouver l'usage de la parole, surement grâce à ces insignifiants bipèdes qui passent tous les jours à dix mètres de moi, là, sur le boulevard, et qui échangent sur des sujets tous plus affligeants les uns que les autres.

Ouais il m'arrive de sortir, ouais... Enfin sortir est un bien grand mot. J'ai perdu l'usage de mes jambes comme tu as pu le remarquer, ces enculés de vers les ont consciencieusement grignotés, aidés par les rats. D'ailleurs j't'ai pas dit mais depuis le début t'en as un qui te bouffe ta veste. 'Sont pas méchants, faut juste pas les toucher, tu risques d'attraper une saloperie... Ouais donc je sors... je rampe. Tu sais j'ai fini de croire en ma vie, comme tous ces idiots. La vie c'est juste un supplice de bout en bout, t'es hanté par ton existence inutile, tout autour de toi le Monde ne fait que pourrir, tout le temps. De toute manière qui se soucie de son prochain en réalité. Personne mon gars. PERSONNE. Les gens ne sont qu'un tas de salauds. Pire que des nazis, summum de la connerie humaine ces tarlouzes. Alors je leur rends la pareille t'sais. Le Monde m'a fait des coups de pute, alors je me retire du Monde, je coupe le cordon ombilical. Ca me donnait envie de gerber. Cette mauvaise foi ambiante, ces faux remerciements. Personne n'en a rien à foutre de personne, tout le monde est focalisé sur sa petite existence insignifiante. L'homme n'est qu'un vers en plus évolué au final t'sais.

Tu ferais mieux de partir mon gars. J'espère ne plus voir d'autre humain un jour. J'préfère garder mes pensées hostiles pour moi même, tout seul. Recroquevillé dans un coin d'ordures. C'est ma philosophie. Il ne reste plus rien de ce que j'étais, je suis devenu un légume, aussi méprisable que vous. La différence entre vous et mois, c'est que vous vous battez dans l'espoir de refaire surface, de sortir cet état comateux, vaseux. Mais moi j'ai compris que c'était impossible. Seul j'attends la fin, j'en deviens malade de voir ces putain de visages, ces sourires niais ou ces yeux révulsés. Je mourrai seul et misérable, personne ne connaîtra ne serait-ce que mon nom. La vie ne veut plus rien dire pour moi.

Un petit service avant que tu te casses mon con. Si un jour tu passes dans le quartier et que je suis en train de dormir... Pose un pistolet contre ma tête et fais le nécessaire. Je hais ma pitoyable vie. Je suis déjà mort.


Live is morbid hell. Precious ? I think not.