De la Louisiane au Texas, il n'y a qu'une toute petite frontière à franchir. En voiture, les Interstates 10 et 20 sont les voies les plus directes. Il y a aussi de nombreuses routes plus ou moins petites si l'on veut éviter les très zélées polices d'autoroute, bien que celles-ci soient plus nombreuses au nord du Lac Sabine et de son parc national, moins aisément traversable par le sud. Par le train, la ligne d'Amtrak Sunset Limited permet de passer de La Nouvelle-Orléans à Houston sans trop de soucis. En bateau, par le Golfe du Mexique, il est aussi possible de relier les deux États. Et en guitare… Et bien le voyage ne semble pas bien compliqué non plus.

En témoigne la proximité stylistique entre les Texans de PANTERA lors de la sortie de leur cinquième album, "Cowboys From Hell", premier à voir le groupe expérimenter le Groove Metal, et l'opus initial des Louisianais d'EXHORDER, "Slaughter In The Vatican". Parus tous deux la même année, en 1990, ces deux disques génèrent depuis lors un débat digne de l'œuf et de la poule : qui, d'EXHORDER ou de PANTERA, furent les premiers à jouer ce que l'on appellera bientôt le Groove Metal ? Si vous vous attendez à ce que cette kro-express vienne répondre à cette question, vous vous fourrez le doigt dans l'œil…

En revanche, si vous voulez me lire reconnaître les mérites du quartette de New Orleans, vous êtes au bon endroit. Il est vrai que, depuis trente ans, nombreux sont ceux qui vouent un culte à ce disque encore trop méconnu. Un comble pour un album intitulé "Massacre au Vatican". Bien sûr, on est loin, ici, du blasphème Black Metal, plutôt dans un registre de critique de la société typiquement Thrash Metal, du moins sur une partie des textes de l'album. Mais les textes, c'est une chose… La musique, c'en est une autre et, effectivement, celle d'EXHORDER a manifestement quelque chose de plus que celle de pas mal d'autres thrasheurs de l'époque. Cela s'appelle la variété. Le quartette, en effet, emploie une palette Thrash Metal bien diversifiée.

Et d'abord, pour groover, oui, EXHORDER groove à mort. Exemple avec "Homicide" qui, entre un début et une fin menés tambour battant, dévoile un cœur bien gras et groovy en diable qui fait quasiment changer le morceau de couleur. En trois minutes et des poussières, c'est fort. Idem sur le plus long "Desecrator" qui le suit et qui, avec ses 6'08" bien tassées, offre une alternance de parties rapides et bien Thrash et de passages mid-tempo lourds à souhait sur lesquels le groove du groupe se révèle à nouveau présent. Certes, on n'entend pas ici le même Groove Metal que PANTERA, car EXHORDER reste fondamentalement plus Thrash, mais à l'écoute de ces titres-là, on ne peut douter de l'impact des Louisianais sur l'évolution du Thrash vers le Groove.

D'ailleurs, "Exhorder", le morceau, est certainement le plus représentatif du Groove Metal pratiqué par le groupe, comme un manifeste de son style personnel. Débutant et s'achevant lui aussi à toute berzingue, c'est en particulier sur sa deuxième moitié que tout le groove remarquable imprimé par la section rythmique et les parties de gratte plus syncopées se font entendre. En vérité, à peu près tous les morceaux affichent la facette Groove d'EXHORDER, en particulier les plus longs, comme "Desecrator" et le très efficace "The Tragic Period", qui varie les plaisir comme aucun autre titre sur ce disque.

Jusqu'ici, j'ai beaucoup évoqué le Groove Metal mais EXHORDER donne parfois envie de mosh comme à l'écoute d'un album d'ANTHRAX, par exemple, mais de façon plus agressive encore. Avouons toutefois que jouer ce disque en cette période de confinement dû à l'épidémie de Covid-19 fait qu'on manque un peu de foule autour de soi pour mosher dignement… Pas d'épaule étrangère à culbuter à l'horizon, pas de dos à percuter non plus sinon celui des personnes avec lesquelles on est confiné. Et dans mon cas, elles n'aiment pas (ou pas encore) le Metal. Allons, revenons à la musique du groupe, qui n'est pas très loin non plus du Crossover, par moments, en témoigne la première partie de "Homicide", notamment. Il y a même un feeling presque Death Metal (le Death des origines) sur "Legions Of Death". Serait-ce dû à la production made in Morrissound Studios ?

Mais surtout, EXHORDER reste un groupe de Thrash pur et dur très souvent, comme le prouve le rude (and crude) "Anal Lust", dont la lourdeur et la brutalité des parties de gratte peuvent évoquer DARK ANGEL, voire SLAYER, par instants. C'est particulièrement vrai sur bon nombre des passages les plus up-tempo de l'album, de toute manière. Le principal défaut d'EXHORDER sur ce premier album n'est donc pas sa capacité à jouer du Thrash, du Groove ou du Crossover, mais à composer des riffs mémorables. On se laisse emporter par l'énergie et la fougue du quartette mais l'on retient plutôt la savante construction ou la fureur des morceaux plutôt que les riffs. Il y en a de très solides ici, assurément, mais aucun permettant au quartette de hisser "Slaughter In The Vatican" parmi les albums inoubliables du Thrash. Il reste cependant une réussite à bien des égards.