"Suspiria" est un album miraculeux. Pourquoi ? Parce que DARKWELL n’est pas forcément le groupe le plus apte à pondre quelque chose qui s’apparenterait presque à un chef d’œuvre. Parce que DARKWELL est bancal dans sa formule, son interprétation et peut-être même dans son inspiration. Et partir avec aussi peu d’atouts dans la main et faire le grand chelem comme ils l’ont fait ici, c’est que le chien devait vraiment être très bien fourni. Il y aurait tellement à dire sur la formation et sur cet album que cela donne le tournis.

Par où commencer ? Allez, allons-y avec Alexandra Pittracher, la chanteuse, vu que c’est surtout elle que l’on retient de l’exercice. Sa voix n’a rien de franchement extraordinaire. Moins cristalline que celle de Liv Kristine, bien moins puissante que celle de Tarja Turunen, mais moins criarde que ce qu’a pu être celle de Sharon Den Adel, elle n’est ni dans le haut du panier, ni même au fond avec les fruits écrasés. Elle se fait une petite place, discrète, entre agacement et satisfaction, ni plus ni moins. Une artisane correcte, mais qui ne gagnera pas le prix du MOA (Meilleur Ouvrier d’Autriche, nationalité du groupe et j’avoue avoir eu la flemme de chercher comment ils disent par chez eux).

Parlons un peu de musique à présent. Là encore, on ne peut pas dire que DARKWELL propose du neuf, avec sa formule qui navigue entre le vieux THEATRE OF TRAGEDY ainsi que quelques touches plus nuancées à la LACRIMOSA, souvent pour des introductions ou des passages instrumentaux soignés ("Path To Salvation"). Certes, cela trahit de bons goûts, mais est-ce que cela créé une personnalité, une volonté, une entité propre ? Est-ce suffisant pour imprimer sa patte dans un domaine, le Gothique, où l’on mord facilement la queue du voisin tellement la scène semble parfois tourner en rond ?

Ben bordel, ça le fait. Et ça le fait grave même. Le point fort de DARKWELL réside dans ses imperfections justement, cette prod, un peu étouffée qui lui convient bien, qui lui confère un son intéressant, cette facilité à proposer des morceaux qui font mouche sans taper dans le grandiose ou sans chercher à être le plus sépulcral possible. Tout se combine parfaitement bien au point où nous, auditeurs souvent avertis, savons que DARWELL ne mériterait peut-être pas autant d’indulgence, mais qui pourtant la mérite.

"The Souls Creature Trilogy" – en fait une tétralogie si l’on considère que "Path Of Salvation" lui sert d’introduction ! – est l’un des moments-clés de ce disque, où tout semble couler de source, avec des rappels mélodiques tout du long. Cela aurait pu être une pièce unique tant tout semble s’imbriquer parfaitement. D’ailleurs, l’album décolle réellement à partir de là, pour ne pas cesser de monter, grossir, avec des passages étonnants, où même la voix masculine en carton-pâte n’est pas dérangeante, où quelques refrains se veulent même catchy dans leur genre ("Realm Of Darkness").

Il est juste dommage que le groupe se soit étiolé après un EP qui reste recommandable, malgré quelques faiblesses ("Conflict Of Interest"). Le départ d’Alexandra aura des conséquences terribles, dont la première sera peut-être la nullité affligeante de "Metat[r]on". Aujourd’hui, l’aventure continue encore, plus épisodique, et je garde l’infime espoir de reprendre mon pied un jour comme j’ai pu le faire avec ce "Suspiria".