Les Américains de THE DILLINGER ESCAPE PLAN (du célèbre braqueur de banque John Dillinger, incarné par Johnny Depp dans "Public Enemies") sont de retour en ce début de 2010 avec leur Hardcore si particulier. Enfin, c'est pas comme si le Hardcore était le style le plus évident à cerner de nos jours, tous les groupes le pratiquant se font un malin plaisir à le réinventer à chaque album. Oui, le Metal moderne dans toute sa splendeur, celui qui tire partout, comme ce "Option Paralysis" où toutes les options sont analysées, versées sans ménagement dans un erlenmeyer et brassées… pour un meilleur potentiel explosif.

DEP est de cette race de bâtard n'appartenant à aucun clocher, aucune paroisse, un électron libre dans un univers constellé de comètes volant dans toutes les directions. Sa galaxie : le Mathcore. Traduction : Core complexe, asymétrique, irrégulier. Tout comme CONVERGE, qui balance bien le dur et le doux, jumeaux aux caractères opposés mais créchant à la même enseigne.

Du speed à la tisane, de la courte pièce « sans génie »* typiquement Core avec expérimentations/samples et stress à la clé ("Good Neighbor", "Crystal Morning", "Endless Endings"), du tube absolu ("Farewell, "Mona Lisa"), au morceau plus fouillé et déracinant, partageant les émotions troubles vécues par les compositeurs (la superbe "Widower" en compagnie du claviériste de Bowie et "Parasitic Twins"), aux compos plus fun bien que furieuses ("Chinese Whispers"), aux titres anecdotiques ou plus mélodiques dénotant une prospection musicale et un sens du refrain imparables ("Gold Teeth On A Bum", "Room Full Of Eyes"). Tout ceci mis ensemble donne une équation du tonnerre… puisqu'on est en Mathcore.

Et pour résoudre une telle équation (ou pour la créer, c'est selon), cela nécessite du talent. Les Américains en ont à revendre, à commencer par le chanteur (une des plus belles voix du Hardcore), Greg Puciato, hurlant aussi bien qu'il pousse le chant clair à de hauts sommets. Vraiment spécial ce timbre, vous m'en direz des nouvelles. Ensuite, la combinaison cordes coupantes et organiques permet à DEP de ne pas sombrer dans l'anarchie musicale. Certes, le Mathcore est complexe, les changements de tempo, les breaks et les ruses d'attaque sont nombreuses. Je dirais même que c'est stratégique ! Mais ça a l'avantage de ne pas faire chier l'auditoire avec une linéarité à base de « rahhhhh » et de « tatatatatat » ! Si vous voyez ce que je veux dire…

Non, le Mathcore de CONVERGE ou DEP est autre chose : il passe d'un extrême à l'autre ("Widower" et les deux tranches de pain autour d'elle ou "I Wouldn't If You Didn't", qui laisse K.O). Il ne cesse de varier son offre, laissant le conduit auditif en constante appréhension. Par pour rien que le groupe a opté pour une oreille sur sa pochette, "Option Paralysis" s'amuse avec satiété avec elle. Et paralyse un brin avec sa gueule embrouillée, ses géniales pièces d'ouverture et de fermeture, entre lesquelles un goulasch électrisant nous est servi sur un plateau d'argent relié à un ampli titanesque. La sauce tourne vite, mais n'écoeure pas. On en redemande.

Je n'aime pas beaucoup les maths, mais je sais que je suis un fan de Mathcore. Et DEP m'a convaincu de m'inscrire à son fan club grâce à ce disque de fou. Un autre suppôt du Royaume du n'Importe Quoi, contrée de plus en plus habitée, au grand dam de ceux qui s'en foutent de ce « Core à deux balles » qui n'a, selon eux, que des beuglements d'ados retardés et du branlage de manche aléatoire à nous mettre sous la dent.

DEP est un autre exemple que ces gérants d'estrade ont tout faux, indépendamment des goûts et des couleurs. Faut voir, entendre plutôt, l'évolution salutaire quand on la croise. Se sortir les doigts de vous savez où. Oui, c'est bien cela, des oreilles.

*Au Québec, expression signifiant sans limite, défoulement.

PS : le digipack est tout simplement hallucinant... mais foutrement difficile à ouvrir... il est pire, notamment, que celui de "Paradise Lost" de SYMPHONY X !