La sensiblerie romantique. Démesure des élans, étreintes d’un grandiose naïf, excès linguistiques nébuleux au primat perceptif égoïste. Le «sublime» attend, telle une pute sur le sofa relevant machinalement jupe et coins de lèvres, et le verbe, cette finitude indigente, tâcheronne et dévoie l'horizon alors déployé. Réticence personnelle d’autant plus forte que subsiste, indélogeable racine, cet incurable penchant d’un goût trop longtemps éduqué au lyrisme et prompt à l’entière adhésion au moindre climat immersif. Et voilà le spaghetti indécemment dressé, droit dans ses bottes et fier tel un centurion, prêt à la diarrhée verbale, toutes analogies et baudruches langagières dehors.

Un romantisme pathologique donc, que ce "Weighing Souls With Sands" réactive, plaisir coupable à la clé. Coupable oui, car la recette, si elle navigue à ce point hors du monde, trahit une simplicité confondante –n’excluant pas, à mon grand regret, quelques simplismes malheureux.

La masse sonore déployée, d’un grain âpre qui n’est pas sans rappeler celui d’un NADJA période "Radiance Of Shadow", couvre de son ampleur tout l’espace sonore. Procession magmatique et cataclysmique de riffs avares, brûlants, auréolés d’un noise cendreux ceignant leurs chefs : poussière de rois égrenée quelque part entre ciel et terre, vague vision que ce brouillard, opaque et cathartique, recouvre.

Et pourtant, s’il n’y avait que cela. Là où THE ANGELIC PROCESS balaie d’un revers de main toute accusation de resucée, c’est bien par sa chaleur, ses déflagrations aux interludes atmosphériques (le titre éponyme et son break) comme strictement ambiant (SWANS rôde derrière cet onirisme aux textures intrigantes), ou par une orientation, un rendu résolument Shoegaze : un MY BLODDY VALENTINE aux blasts appuyés, désormais écrasants de pesanteur. La voix lorgne donc du côté du vaporeux ("Dying In A Minor"), surnaturel contraste entre un typhon aux passions déchaînées et son œil aux trouées azuréennes paisibles…

Mais écoutons mieux : ne voilà t-il pas que cette dernière, psalmodiée ou tenue longuement au bord de la rupture, finisse par se consumer en hurlements corrodés et altérés ; lambeaux incandescents ouvrant brèches et béances d'où s’engouffrent soli charismatiques, limpides, en autant de rampes de lancement tutoyant les cimes ? C’est bien dans cette puissance d’évocation, dans cette tornade saisissante alliant oraculaire, langueur et tendre consomption, que le groupe fait mouche. Oui, les extatiques "Smoke Of Her Burning", "The Resonance Of Goodbye" ou "We All Die Laughing" sont autant de consécrations qui captivent et élèvent. Alors, pourquoi ne pas hausser généreusement la note ?

Car la formule proposée reste sensiblement la même tout du long : on ne saurait leur en tenir trop rigueur, si un systématisme rythmique irritant ne venait émailler l’écoute (surtout pendant les mid, et ils sont plutôt nombreux), ou si ces dynamiques semblables, ces ficelles sur lesquelles on tire avec un peu trop d’insistance, ne donnaient un désagréable air de déjà-entendu. Certaines incartades ambiantes me paraissent aussi un peu malvenues (euh ouais, moyen le remplissage de "World Deafening Eclipse", bof bof cette fantaisie inopinée sur "Burning In The Undertow"). Détails malheureux certes, mais détails au prix desquels toute durée de vie se raccourcit fatalement.

Reste une œuvre puissante à tout égard, quoi qu’on en dise ; cinquième et ultime production du couple géorgien, maintenant défunt. Réjouissez-vous, âmes sensibles, et tout ceux qui, comme moi, gardent vivace une pousse romantique ne demandant qu’à bourgeonner avec ardeur ! THE ANGELIC PROCESS vous fera boire, sans modération et jusqu’à la lie, la coupe de la contemplation.