Dès l'intro au clavier de "Through The Eyes Of A Mad", on devine qu'on aura droit à un festin romantique empestant les lamentations. Imaginons donc, pour nous préparer à ce long et douillet rêve, une chambre tamisée par la lueur des chandelles, avec roses et crânes disposés un peu partout, décorations baroques, draperies grossières et bien du vin… et des larmes. Situez cette chambre en Russie, avec toute la verroterie historique et la poudre aux yeux nécessaire et vous êtes paré à vous truffer WINE FROM TEARS, nouveau groupe Doom/Death composé de deux femmes (basse et clavier) et trois hommes, ce qui est plutôt rare, mais qui fait du bien.

WINE FROM TEARS est avant tout un autre combo ayant été lézardé par de maudits changements de line-up avant de pouvoir enfin lancer son premier album, ce qui explique ce gouffre entre sa naissance en 2002 et sa communion en 2009. Pour les impatients d'entre vous, ça doit déjà sonner une cloche, non ? Qu'est-ce qu'on fout après avoir été incapable de ziquer avec un alignement stable pendant de longues années ? On fonce dans le tas et on grave tout ce qu'on peut sur la galette en ne songeant pas au lendemain, comme s'il n'y avait pas de second baroud. Son dépucelage a maintenant lieu mesdames et messieurs, sortez les détachants et les mouchoirs. Et peut-être le Red Bull, car vous en avez pour 77 minutes. Je sais, ça commence mal, 77 minutes. Mais bon, quand on est jeune, on veut et on peut. C'est par la suite qu'on écoute ce que le public nous conseille pour améliorer nos trucs et beaucoup plus tard après cela que même le Red Bull n'a plus aucun effet sur nos neurones plissées par le succès et les lignes blanches…

Les Russes sont le résultat de la fusion de leurs maîtres : KATATONIA, MY DYING BRIDE, TIAMAT, PARADISE LOST. Leurs tempos sont pour la plupart lents, suaves, à la limite du sirupeux, rarement « dépressifs », le clavier est très présent, les guitares sont bien découpées et ne se noient pas dans un océan de tourments. La gorge d'Alexey Nesterov est très Death et me fait penser à celle de Paul Kuhr (NOVEMBER'S DOOM) ; elle alourdit le climat à la frontière de la nostalgie, de la mort et du lyrisme dépeints un peu partout sur le skeud, des thèmes chéris par tout doomer et énamourés par WINE FROM TEARS.

Si les morceaux sont longs, ils possèdent au moins un riff ou une mesure de clavier unique qui nous aide à passer à travers cette longue traversée des ombres. La guitare plaintive sur "Since I Fell…", la mélodie agonisante de "Funeral Time" (l'influence de MY DYING BRIDE est forte), la légère cavalcade "Night Of A Succubus", qui partage des consonances avec "Since I Fell…" avant de s'empourprer dans une bourrasque death et une atmosphère vampirico-mortuaire (joli, non ?!). La moitié du skeud s'achève avec "Close To Katatonia", plus lumineuse et Gothique, à l'image d'un PARADISE LOST, par exemple. Comme c'est dans leur banque inspiratoire, ce n'est pas une surprise…

Les soli sont aussi nombreux, ce qui est parfois un manque en Doom/Death scabreux et vomitif. WINE FROM TEARS n'est quant à lui pas emprisonné dans la glaise et plonge dans un bain où les larmes et le vin font bon ménage. En 77 minutes, il nous tapisse la chambre aux roses d'envolées revigorantes faisant oublier la longueur du menu. Il nous fait s'agenouiller, non pas devant l'excellence, mais la tendreté sous-jacente de sa musique, cette délicatesse virile cassée à tout moment par une voix d'outre-tombe et des cisailles languissantes. Je me surprends à écrire tout ça, et ce n'est nullement érotique ou quoi que ce soit, c'est seulement que je prends un certain plaisir à goûter le boulot des Russes. Je ne m'attendais pas à un tel bonheur relatif.

La deuxième partie de l'opus poursuit sur la même lignée touchante/triturée, réconfortante/démoralisante. Des opposés s'accordant un répit dans un environnement commun. De la rythmique lourdaude et aux bridges doucereux de "The Secret Of The Woods", en allant piocher dans les champs de blé brûlés de "Before The Gods" ou ruminer dans la soie de "Feeding The Angel" et "My Tears", WINE FROM TEARS alterne avec talent les atmosphères. Certains pourront trouver tout cela ennuyant, bien sûr, il faut aimer le genre, il faut apprécier les joueurs de guit' à fleur dans la gueule, mais on a déjà entendu bien pire.

Je dois cependant m'insurger devant le son kitsch du clavier de Maria Zvyagina (le nom le plus comique de l'année), qu'il démarre une pièce ou la couvre en arrière-plan. J'ai beaucoup de misère à adhérer à cette grandiloquence inutile, alors que les autres zicos font hurler leur instru' à la Lune sans exagération. Ça peut tomber sur le gros nerf après quelques écoutes ce sapristi de clavier en plastique !

Verdict : un groupe étonnant. Qui devra toutefois apprendre à synthétiser ses idées, quitte à les échelonner sur deux disques ! Mais bon, quand le souffle créatif est attisé, ardu de le freiner… WINE FROM TEARS doit continuer à exister, point barre. Je ne dis pas cela de tous les jeunes loups, mais celui-ci en a suffisamment sous la casquette.

3,5/5.

*Anecdote truculente gracieuseté de mon site préféré, (www.metal-archives.com) : le nom du groupe est le titre d'une chanson du combo Black Symphonique THY SERPENT, parue sur son premier album, "Forests Of Witchery".