Nous nous sommes tous longtemps posé la question de la succession de CYNIC. Celle-ci ne se pose aujourd'hui plus, le groupe est en ce moment même en train d'enregistrer le disque qui consistera la suite de "Focus", fier d'un nouveau line-up pas tout à fait stabilisé. N'en disons pas plus, nul ne sait à l'heure actuelle quand sortira l'événement signé chez Seasons Of Mist et de quoi il sera composé (et ce malgré les trois titres déjà entendus en live ou sur un récent promo).
Parmi les prétendants à la couronne figurait en bonne place AGHORA. Bizarre ! Le site officiel de CYNIC a toujours adoubé feu PORTAL comme unique héritier. Paul Masvidal et Sean Reinert ont, dès leur déménagement sur la côte ouest, fondé AEON SPOKE. Sean Malone est parti créer GORDIAN KNOT.
AGHORA est en fait le bébé de Santiago Dobles, guitariste qui n'a, à l'origine, aucun lien étroit avec CYNIC. Mais sur le premier album éponyme d'AGHORA figurent bien Sean Malone et Sean Reinert. Deux Sean dont la présence a fait pousser une parenté artificielle avec le petit prince du death technique jazzifiant de Floride.

Et c'est vrai, quand on lit le menu musical, "Aghora" ressemble un peu à CYNIC. Du metal progressif aux ambiances éthérées. Mais on ne retrouve rien des accointances death du quatuor de Miami. Et quand on sait que la plupart de ceux qui ont écouté "Focus" l'ont fait en passant par la case DEATH et ATHEIST, on peut se poser la question de l'intérêt d'un tel disque pour nombre d'auditeurs.

Je commencerai en les effrayant. Le chant est ici tenu par une femme, propre sœur du fondateur. Fini le mélange de borborygmes et de robotismes nasillards qui faisait grincer quelques oreilles sur la perle floridienne de 1993, la dame chante haut et clair, sans lyrisme excessif à la NIGHTWISH mais en ne laissant jamais transparaître une quelconque volonté de combattre sur le terrain des mâles. Ensuite, si "Focus" avait par erreur été estampillé death metal à sa sortie (époque et label obligent), il conservait un élan de rugosité qui attirait l'oreille des curieux généralement portés sur les sons caverneux. La production, les instruments, l'air sont légers chez AGHORA qui nous invite à passer une fin d'été en pente douce finement jouée par des virtuoses qui se refusent d'abuser de leur savoir-faire et de tomber dans la branlette prétentieuse. Les rares saturations lourdes, les quelques accélérations thrashisantes ne constituent nullement le corps de l'objet, bien plus expérimental et fusion que metal. Ni SLAYER ni MORBID ANGEL, plutôt KING CRIMSON ou le MAHAVISHNU ORCHESTRA.

"Aghora" nécessite une grande attention et, dépourvu de la plus petite once d'immédiateté, il ne tiendra pas longtemps dans les platines d'auditeurs impatients. Les arabesques orientales, les motifs percussifs complexes, les petits riens du clavier et la verbosité de la basse requièrent de la volonté, une volonté autant physique qu'intellectuelle, comme un livre profond qui ne s'offrirait qu'aux plus courageux. Chacun choisira donc son camp en connaissance de cause. Et Si C'était Vrai… ou Les Frères Karamazov ? L'Alchimiste ou Jacques Le Fataliste ?
Après tout, on a aussi le droit de préférer la fascinante accessibilité de sous-produits hideux et de consommation très courante.