Un concept mammouth. J'ouvre tous les tiroirs de ma mémoire et je cherche en vain… Non, je n'ai jamais entendu passer de metal soviétique entre mes petites oreilles. Des groupes russes, il y en a. il y en a même un sacré paquet, notamment dans les créneaux black et folk. Des groupes ukrainiens, il y en a au moins autant. DARKESTRAH sort son nouvel album dans quelques jours, voilà pour les républiques asiatiques. Il y aussi la Biélorussie, et certainement d'autres. Non, je ne parle pas de ça. Et KYPCK n'est pas né dans l'empire des tsars. Il vient d'à côté, d'un pays froid qui a justement longtemps vécu sous le joug russe, qui s'est ensuite gentiment fait exploser la gueule lors des premiers mois de la seconde guerre mondiale pour cause de résurgence d'un esprit conquérant, légèrement atténué durant le règne de tonton Lénine. L'orchestre finnois gagne, de par ses origines, une certaine légitimité à utiliser une imagerie si colossale que celle-là. Colossale, envahissante, pesante. KYPCK (du nom de cette bataille de blindés si célèbre, du nom de ce sous-marin coulé en mer de Barents) chante en russe, KYPCK chante l'Union disparue, KYPCK joue à plein la carte de la mélancolie d'une époque qu'il n'a jamais connu.

Premier faux-pas, "Чернo", noir. Le monde soviétique n'est pas noir, aberration historique et climatique. Le monde soviétique sue d'un gris alternant le clair de pierre et l'anthracite le plus dur. Vous allez dire que ce n'est rien, un titre inadéquat. Et encore, de peu, il s'en est fallu d'une courte nuance de luminosité. Mais voilà, KYPCK ne connaît pas la nuance, il roule en ligne droite à toute bringue zingue. Résultat, des textes plats, des mélodies évidentes, un climat plein d'exagérations.

Des textes plats, des paroles plâtreuses écrites dans un russe scolaire, des mots chantés avec une application excessive et un curieux accent. Authenticité à revoir.
Des mélodies évidentes, un doom metal à la personnalité peu affirmée, un clin d'œil presque condamnable à "Полюшко Поле", chanson presque aussi célèbre que la fameuse "Калинка", et ce dès le premier morceau.
Un climat plein d'exagérations. Des nuages radioactifs venus du nord de l'Ukraine, les orgues de Staline, les défilés de chars du 1er mai, les démonstrations de force de Budapest et Prague, le désastre afghan, les morts consécutives d'Andropov et Tchernenko… Images d'Epinal pour public de novices.
Mais oui mais il y a du SENTENCED dans KYPCK, une guitare qui imbibe l'orchestre des envies faciles de cet ancien plus grand espoir du death metal européen. Du SENTENCED qu'on entend même en de courtes occasions, étrange impression de déjà entendu.

Trêve de tir à la carabine, retournement de veste, KYPCK, c'est pas mal du tout !

Quelques refrains bien trouvés, des sons qui s'étirent souvent très à leur avantage, parlons vulgaire, "Чернo" se laisse écouter. Plusieurs fois même. Une même addictivité gothique un brin pleureuse que la consanguin SENTENCED (écoutez le beau refrain de "Не Прости"). Et la galette gagne en intérêt au fil des écoutes. Atout énorme, comme chacun sait. Et on ne peux plus dès lors parler de facilité. Cet opus que je pensais immédiat gagne en profondeur. Difficile à comprendre. Heureuse surprise.
Des exagérations comme le doom lui-même. Le funeral même car "Чернo", bien qu'il reste dans le clous d'un doom metal classique assisté d'une voix claire à l'équilibre intelligent (ni trop aigüe et passéiste, ni bêtement caverneuse), s'imprègne d'un infime filet de surpensanteur, histoire de gagner en pilosité.
Et ce "Полюшко Поле" fait tellement penser à l'exercice de style joué par CANDLEMASS il y a longtemps sur la Marche Funèbre qu'on ne peut totalement le dénigrer.

Alors, je pourrais bien gratifier ce disque de quatre étoiles. Quatre étoiles qui attesteraient du vrai plaisir que prendront la plupart de ceux qui tenteront l'aventure bolchévique de ces Finnois nouveaux. Mais "Чернo" ne constitue pour moi qu'un élan et j'attends le grand saut sur la prochaine livraison. Alors trois étoiles, signe d'un grand espoir.