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1993 My Soul Is Wet

MUTHA'S DAY OUT - My Soul Is Wet (1993)
Par BAAZBAAZ le 12 Octobre 2006          Consultée 7829 fois

Des centaines et des centaines de suiveurs, de copieurs, de cloneurs, des imitateurs par dizaines, opportunistes, qui se contentent d'exploiter jusqu'à l'écoeurement ce que d'autres ont inventé avant eux. Voilà à quoi ressemble le marché du rock aux Etats-Unis. Et ailleurs aussi, sans doute. Des centaines de plagiaires, et au beau milieu, une fois tous les cinq ou dix ans, un fondateur, un inventeur : un groupe surgi de nulle part qui pose l'essentiel des bases musicales pour la décennie qui suit. Parfois dans la lumière, ouvrant alors la voie à ceux qui tenteront ensuite de fonder une carrière entière sur une ou deux chansons à peine de son répertoire. Merci Pearl Jam, merci Nirvana. Parfois dans l'ombre, ou presque. Certains groupes, discrètement, sans même toujours s'en apercevoir, prennent d'un seul coup une longueur d'avance sur leur époque ; ils anticipent avec un art quasi-inhumain et prophétique de la divination l'ensemble des évolutions musicales futures. Et tout ce qui sort par la suite semble alors n'être qu'une redite fastidieuse d'un coup d'éclat anonyme que seule une poignée d'initiés reconnaît comme ce qu'il est : l'œuvre de précurseurs venus trop tôt, et trop vite oubliés. Mutha's Day Out fut l'un de ces groupes de génie, obscurs et éphémères, étoile filante qui, au début des années 90, a anticipé sur un unique disque aujourd'hui épuisé la totalité du metal américain des quinze années suivantes.

En 1995 sort un piètre film : Mortal Kombat. Aucun intérêt si ce n'est la participation sur la bande originale d'un groupe inconnu dont le morceau écrase tout le reste : « What U See / We All Bleed », collision supersonique entre riffs thrash, vocaux rap et refrain metal. Un monstre surpuissant scindé en deux parties aussi terrifiantes et rageuses l'une que l'autre. Le morceau passe en boucle, on se l'arrache. Un nouveau groupe est-il en train d'exploser au grand jour ? Le standard téléphonique de Chrysalis – label du groupe – explose. A chaque fois, la même réponse : « désolé, ils viennent juste de splitter »… Mutha Day's Out connaît le succès alors même que ses membres ont jeté l'éponge. Aux portes de la gloire. Quatre années d'une existence en forme de coup de poing, rapide, brutale, et déjà disparue alors que ses effets se font à peine sentir. Entre 1991 et 1994, le groupe s'est formé, a sorti un disque – My Soul is Wet –, a beaucoup tourné, et finalement a lâché prise. L'histoire aurait pu s'arrêter là. Et l'oubli aurait pu enterrer tout ça à jamais. Sauf que l'album est un miracle. Quelque chose d'improbable, totalement en phase avec une époque d'expérimentation et de renouvellement sonore. Un genre musical à part entière vient d'être inventé par des gamins, à peine plus de 17 ans de moyenne d'âge. Toute la fusion, tout le neo-metal, le rapcore, le post-grunge : tout est là.

Bien sûr, en musique comme dans toute forme d'art, l'idée même d'innovation est trompeuse : il existe toujours des influences, une origine. Personne n'invente à partir de rien. Mais ce qui compte est alors la capacité à superposer les sources, à se faire le réceptacle de courants, de styles dont le mélange produit cette impression d'étrangeté musicale qu'on appelle nouveauté. Faire oublier ses influences, voilà ce qu'est l'art d'inventer. Et chez Mutha's Day Out, l'inspiration fut multiple et éclectique. Le groupe se réclamait à la fois des Beastie Boys, de Faith No More, de Rage Against the Machine, du heavy metal traditionnel – Ozzy Osbourne –, du thrash, sans oublier le grunge, alors en passe de devenir dominant aux Etats-Unis. Le rap est omniprésent, et l'alternance des deux chanteurs est d'une efficacité et d'une limpidité hallucinante. Mais des mélodies tristes et torturées font également penser à Pearl Jam. Surtout, l'homogénéité musicale est confondante : My Soul is Wet n'a rien de bancal, d'artificiel ou d'éparpillé. C'est un tout cohérent, sur lequel Mutha's Day Out fait disparaître avec un talent rare toute trace d'imitation. Comme un réceptacle de tout ce qu'il y avait alors de mieux dans le monde du metal ; le groupe s'approche d'une sorte de rêve artistique : la synthèse absolue, le point de rencontre entre une multitude de styles qui trouvent là leur aboutissement.

Difficile après ça d'écouter naïvement les Linkin Park et autres apprentis fusionneurs. La discographie entière de la totalité des groupes de neo-metal des dix dernières années est entièrement pesée et emballée dans une ou deux secondes de n'importe quelle composition de Mutha's Day Out. Et ce disque… My Soul is Wet n'a rencontré aucun succès, sauf en France. Le groupe a joué quelques titres à Paris, dans un Virgin en délire. L'enregistrement du concert – introuvable – est devenu culte auprès des fans. Alors oui, tout ça relève peut-être d'une histoire du rock qui aime les mythes, les légendes, les génies méconnus ou les avant-gardes oubliées. Mais quoi qu'on en dise, il reste le disque. Des riffs inépuisables, sans âge, qui ne faibliront jamais. Un flow affolant, renouvelé inlassablement, des refrains mémorables, des breaks insondables. Deux chanteurs qui parviennent à faire croire qu'au moins cinq personnes différentes ont posé leurs voix sur l'album. Aucune composition bâclée, aucune baisse de rythme, et un crescendo foudroyant : My Soul is Wet est sans cesse meilleur, une chanson après l'autre, plus génial, plus sauvage. Au milieu, le cri de rage : « Dry Water », son intro lugubre, ses vocaux déchaînés sur une mer de riffs enflammés. Faites écouter ça les yeux fermés à n'importe qui aujourd'hui, il est absolument impossible de deviner que cette musique aura bientôt quinze ans.

En 1993, quand l'album est sorti, il paraissait presque normal. L'époque, il faut dire, n'était pas avare en groupes géniaux. Mutha's Day Out était alors un jeune espoir à suivre de très près. C'est surtout en le réécoutant, années après années, qu'on a pu comprendre combien My Soul is Wet passait non seulement avec classe l'épreuve du temps, mais que la musique qu'il renfermait, loin de vieillir, était au contraire de plus en plus actuelle. Comme si cet unique disque avait été le big bang secret à l'origine d'un univers musical entier, dont l'expansion n'a eu de cesse ensuite de produire des sous-genres spécialisés qui étaient déjà tous contenus dès le départ dans une poignée de compositions prémonitoires. Cela ne veut pas dire que tous les groupes actuels à tendance grunge / neo / rap ont écouté Mutha's Day Out. Simplement, ils ont suivi la même évolution ; ils ont fini par découvrir une musique à peu près semblable. Mais ils ont mis plus longtemps, et avec moins de talent. Et si My Soul is Wet sortait en 2006, il serait en première ligne, à la pointe de la créativité musicale. En concurrence directe avec un System of a Down qui, avant de stagner, est à peine parvenu à faire mieux. Un jour, il y a longtemps, un groupe s'est pointé, l'air de rien, sans se prendre la tête. Il a humé l'air du temps et il a dit : « voilà ce que sera le metal américain pendant dix ou quinze ans, et basta ». En plein dans le mille, les gars.

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   BAAZBAAZ

 
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- Mikal Moore (chant)
- Brice Stephens (chant)
- Chuck Schaaf (guitare)
- Jeff Morgan (basse)
- Rodney Moffitt (batterie)


1. Locked (tear Me Down)
2. My Soul Is Wet
3. Green
4. What U See/we All Bleed Red
5. Dry Water
6. Ding Ding Man
7. Get A Clue
8. Blank Page
9. Memories Fade
10. Breakfast First Please
11. Wait For Me
12. Ugly



             



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