Les années 90 n'ont pas été des plus tendres pour CHROMING ROSE, comme pour l'ensemble des groupes évoluant dans la sphère Heavy Metal. Le début de la décennie s'est révélé prometteur, le groupe s'envolant tout d'abord pour le Japon afin d'y réaliser sa première tournée en tête d'affiche, puis donnant plusieurs concerts en Allemagne, que ce soit en double tête d'affiche avec les Suédois de TREAT, ou voguant sous sa propre bannière en 1993 (la première partie des concerts étant alors assurée par les Brésiliens de VIPER). Débute néanmoins une valse des guitaristes qui témoigne, au sein de la formation, d'une instabilité latente, frappée du sceau de l'incertitude. Le succès ne vient pas, et l'entente au sein du groupe s'en ressent. Et finalement, le chanteur Gerd Salewski décide de mettre les voiles, laissant derrière lui les cendres d'un groupe désabusé.

Il ne faudra néanmoins pas longtemps à CHROMING ROSE pour se remettre d'aplomb. L'arrivée du chanteur Tom Reiners est synonyme d'un nouveau départ pour la formation, qui présente son nouveau frontman à l'occasion d'une réunion du fan-club du groupe, en octobre 1994. Dans la foulée, le groupe signe un contrat avec le label Miez, qui ne tardera pas à publier le seul et unique album live du groupe, "Artworks Live Now".

En 1995, l'heure est venue pour CHROMING ROSE de publier son quatrième album, le justement nommé "New World", qui voit le groupe rompre presque complètement avec son passé. Si, à l'exception du chanteur, le groupe a su conserver son line-up, il est ici complètement méconnaissable. Diffusé successivement en Europe, puis au Japon et aux États-Unis (avec des pochettes et des tracklists différentes), ce nouvel album confirme un virage entrepris dès l'année précédente, les acquéreurs du Live précité ayant déjà pu entendre quatre morceaux ici repris sur cet album. Plus de Heavy mélodique teinté de Speed Metal et de Hard Rock, plus de clins d'œil historiques teintés d'humour, CHROMING ROSE se fait ici à l'image de son époque : le cul entre deux chaises, porté par une volonté de complexité, en réaction au Grunge et au Rock alternatif en général, dont il reprend ici pourtant certains codes. Proposant des sonorités presque progressives, se rapprochant ainsi de l'univers de groupes tels que SAVATAGE ou QUEENSRΫCHE, "New World" est un album difficile et audacieux, qui saura récompenser les persévérants.

Il est évident que, à l'écoute de ce phrasé presque Thrash, porté par des phrases courtes prononcées avec une intonation sèche, il est difficile de reconnaître les auteurs de "Louis XIV". Pour autant, le volubile Tom Reiners s'impose dès les premières notes comme un chanteur parfaitement compétent, à l'aise et nuancé, et offre un bien attrayant nouveau visage à la formation. Le son des guitares se fait épais et rugueux, influencé par l'époque, et rappelle en ce sens la démarche d'artistes tels que AXXIS (l'album "Voodoo Vibes") et DORO (l'album "Machine II Machine"), également en perte de repères à cette même époque. Il y a ici de brillantes propositions, à l'image de l'incisif "GGM" (pour "Gonna Give Me More"), titre très rentre-dedans, qui ne sacrifie pas la pertinence mélodique au profit d'une agressivité latente. Le groupe propose même, à l'occasion, quelques-uns de ses meilleurs morceaux toutes périodes confondues. Il en va ainsi de "40 Nights, 40 Days", seul titre de l'album ayant fait l'objet d'un clip vidéo, qui démarre sur des arpèges que n'aurait pas renié SCORPIONS pour, à mesure de sa progression, gagner en intensité grâce aux interventions vocales flamboyantes de Tom Reiners, moteur de la réussite de ce titre d'exception, qui s'impose avec l'arrivée des guitares électriques comme une pièce majeure de la scène Hard Rock allemande de l'époque. Un joyau.

Le groupe à la bonne idée de proposer d'autres morceaux dans cette veine, à l'image de "I Died A Little", introduit par des arrangements acoustiques qui préfigurent l'orientation du groupe sur son album suivant. La construction se fait ici plus conventionnelle, laissant plus d'espaces de respiration et d'expression, tant au chant qu'aux guitares. "Far From Nowhere", qui se fait à la fois plus lancinant et énergique, est un autre grand moment, qui confirme que le statut de mélodiste hors pair des membres du groupe, ces derniers parvenant à bâtir des ambiances et des accroches à la fois originales et marquantes.

Lorsqu'il s'éloigne de ces intentions mélodiques, comme sur le morceau-titre "New World", sur lequel la voix frappée d'une réverb peu avantageuse tente de donner vie à des riffs Thrash peu inspirés, la partie se révèle néanmoins plus difficile. Et il est ainsi bien difficile de trouver des atouts à "Spread Your Epitaph", un titre à tiroirs dont les influences Prog' semblent mal digérées, bien loin de la concision brutale et réussie de "Groove Me" et "Alert", symboles d'un groupe bien décidé à en découdre et à ne pas rendre les armes.

Album à la fois de la résurrection et de la transition pour CHROMING ROSE, "New World" souffre du mal de son époque. À l'heure de la remise en question pour beaucoup de formations nées dans les années 80, le groupe allemand tire son épingle du jeu en confiant à un chanteur particulièrement pertinent les clés de la maison. Entre mélodie et brutalité, le groupe refuse encore pour l'instant de choisir, et propose un compromis intéressant bien que difficilement accessible.