DJEVEL a été ce monstre norvégien qui je l’espère survivra au récent décès de Ciekals dans des circonstances qui restent troubles. Après une série d’albums depuis 2011 volontiers furieux et se partageant la belle part d’ombre de la Norvège avec TAAKE, DJEVEL apporte un nouveau souffle plus atmosphérique à son cinquième album : "Blant Svarte Graner" lui donnant ainsi une aura majestueuse et une splendeur infernale encore jamais déployées. Et c’est un long format bavard de près d’une heure qui va nous éconduire des rives du paradis pour opérer un virage dans l’hostilité des contrées meurtries de la grande et ténébreuse Norvège.

Autant le dire tout de suite, l’album démarre en trombe avec une grande singularité et composte les bases essentielles d’où naîtront tous les autres albums suivants. Entendez vocaux puissants, jamais hurlés mais dont la tessiture rauque de Mannevond nous emporte sur des ambiances fuligineuses au possible. Elle vous rappellera quelque peu un Abbath (ex-IMMORTAL), mais surtout Satyr (SATYRICON) du temps de ses albums pré-2000. Et puis vous entendrez aussi le riffing caractéristique de Ciekals toujours aussi démoniaque et empli de leads dentelés passionnants qui vous embarqueront sur des traverses d’une Nature vierge là où les paysages sonores formés par "Blant Svarte Graner" s’épaississent, se tourmentent, s’aperçoivent de l’âme et des yeux. J’en veux pour preuve le suprême titre de plus de dix minutes et absolument hypnotique : "Paa Vintersti Skal Hun Synge En Gravsang Som Aldrig Ender" avec son riffing répété jusqu’à la transe. Et c’est une partie de ce pouvoir que DJEVEL détient sur la concurrence, celui d’habiter les recoins de nos esprits avec une aisance absolument redoutable.

Si sur cet album encore les riffs volontiers cinglants, plus "coreux" subsistent ("De Danser Rundt Sopelimet Som Om Den Var Deres Mor"), permettant de maintenir la fougue et l’agressivité impériale de DJEVEL, ils ont tendance à s’atténuer au profit de motifs sonores plus spectraux et atmosphériques. Et cela fonctionne diablement bien. Couplé aux vocaux sinistres remplis de fiel de Mannevond et la prestation sans fioritures de Faust, "Blant Svarte Graner" est l’album qui m’a donné envie de plonger dans ces dignes descendants du Black Metal norvégien des 90s. Certains pourraient y voir le prolongement congruent et authentique de la grande époque du True Black Metal qu’ils n’auraient pas foncièrement tort à mon humble avis. La production est bien plus soignée, nettement même, elle est puissante et sans fioritures et d’une belle transparence, je rassure les plus prudents ou les allergiques notoires.

"Her Er Ikke Spor Af Mennesker" est une sacrée ouverture belliqueuse – après la petite minute d’introduction de "Saa Begynner Det" qui augurait déjà une mise en bouche mystérieuse - attelée au grand galop des chevaux de l’apocalypse. Et que dire aussi de la superbe pièce qu’est "I Denne Gamle Falne Kirke" ? Que sa majestuosité n’a d’égal que son courroux intense et délicat à la fois. Ses changements de rythmes cautionnent son appétence labyrinthique, son ambiance épique et guerrière arme sa main furieuse tandis que son périple atmosphérique nous conditionne à être happé dans ses propres tourbillons. "Banker Som Doedningeknoker" est le second titre de plus de dix minutes et celui-ci, vif et furibond, nous balaie de son épouvantable vent glacial. Les sensations oppressantes gagnent au fur et à mesure du terrain pour traîner notre corps chancelant vers l’antre des Enfers. Après cinq minutes d’une fureur impossible à calmer, voilà que ce titre va se métamorphoser, après un bref passage acoustique, et prendre son envol avec ses ailes enflammées vers des cieux mélancoliques…

DJEVEL avec ce cinquième album convainc totalement et donne à entendre que le plus noble des Black Metal reste réservé à une élite. DJEVEL en fait partie et le démontre avec ce "Blant Svarte Graner" impérial. Suivront par la suite quatre autres brûlots dont je vous laisse, si tel n’est pas le cas, écouter de ce pas et/ou lire aussi les chroniques que j’en ai fait. En 2018, DJEVEL a enflammé le monde et mes oreilles et je ne peux que l’en remercier. La plongée vertigineuse qu’induit "Blant Svarte Graner" est exceptionnelle. L’aisance mélodique de Ciekals force le respect. Un bel album donc, un grand album très certainement.