Depuis maintenant six ans que je m’échine à diffuser ma prose indigne sur NIME, je ne me lasse pas d’être surpris de la persistance de ces myriades de combos, aux existences parfois très éphémères, œuvrant aux confins d’un Pop Rock musclé, jouxtant les terres d’un Prog mélodieux ou cabotant en vue des côtes colorées, mais un chouïa brumeuses, d’un Metal Alternatif disposant d’autant de nuances que d’adeptes…

Malgré quelques fonds de rayons déceptifs et forcément sans lendemain, j’y ai néanmoins découvert certaines pépites qui, une fois débarrassées de leur gangue d’anonymat, se sont révélées clairement incisives et percutantes, à l’image des sauvageons de The BUTTERFLY EFFECT ou des mélodies délicieusement torsadées m’ayant marquées au fer rouge pondues par le génial homme orchestre d’ODD LOGIC. Aussi, les Suédois d’ASTRAKHAN font pour moi sans conteste partie de ces quelques élus talentueux, sincères dans leur art, et ayant surtout su se fabriquer une belle empreinte musicale.

Avec un "je-ne-sais-quoi" qui ne cesse de m’évoquer la liberté d’écriture et surtout la flexibilité d’interprétation de leur célèbre compatriote Mister Daniel Gildenlöw (PAIN OF SALVATION), les musiciens de ce combo venu des steppes nordiques, sans tenter de copier/coller une formation proprement inimitable, injectent la même passion, voire la même tension sous-jacente sur des compos dont l’aspect imprévisible n’a d’égal qu’un sens avéré de la mélodie chromée aux ambiances absorbantes.
Alors oui, c’est vrai que les furieux de la NWOBHM comme les enragés de Power Metal risquent clairement de ne pas s’y retrouver avec ces drôles de suédois qui jettent aux orties les lignes rythmiques à la mitrailleuse cavalcadante, classent dans la broyeuse les charges à la double grosse caisse fumante et poussent le bouchon jusqu’à excommunier les soli technico-tapageurs qui forgent pourtant le mythe du Guitar-Hero.

Non, ici les guitares au son agréablement vintage se font plutôt discrètes même si elles sont toujours bien présentes, la batterie comme la basse soutiennent fidèlement le tout sans se priver d’y ajouter du groove, aidées en cela par des claviers enrobants sans être conquérants, et enfin les échappées solistiques se veulent loin de toute démonstration nombrilesque en s’adaptant à merveille à l’identité de chaque morceau. Du calme mais du solide.

"Ok Haplo, merci pour la leçon de choses, mais qu’est-ce qui peut bien différencier ASTRAKHAN de ses milliers de confrères adeptes d’un Metal Prog aux relents vintageo-mélodiques ?"
C’est LA bonne question, ô lecteur méticuleux et tu fais bien de la poser… ce grand plus, c’est la Voix !

Sans pour autant m’auto-plagier en paraphrasant la kro du premier-né des Suédois ("Retrospective" – 2013) à laquelle tu pourras d’ailleurs fébrilement aller t’abreuver, la cerise sur la gâteau musical d’ASTRAKHAN est personnifiée par un vocaliste unique en son genre, sachant concilier une voix au cachet rare avec une maîtrise absolue dans l’art de manier et de rendre si expressive cette capacité hors du commun. Aux antipodes de la performance musclée et transpirante, même s'il est ponctuellement capable d’envoyer du pâté 100 % pur porc, l’ami Alex Lycke y allie une humanité, une tendresse, comme l’acidité de nos blessures, capable de tracter un semi-remorque sans effort et en souriant. L’intelligence du bonhomme consistant à ne pas en faire des caisses tout en respectant les instrumentistes dans leurs parties… un peu à l’image des vertus affichées par Gildenlöw vis-à-vis de ses compères de PAIN OF SALVATION… Quand je dis qu’il y a un truc.

En tout état de cause, ce "Adrenaline Kiss" paraissant près de trois ans après le cri initial des Suédois, il vient confirmer toutes les bonnes choses qui germaient sur l’œuvre de jeunesse : ASTRAKHAN y affine son style et semble avoir trouvé suffisamment de matière créative pour produire des compositions intelligentes, qui parlent aussi bien au cœur qu’aux tripes, voire même commencent à s’amuser avec une signature que les musiciens possèdent maintenant parfaitement. Mais attention ! "Adrenaline Kiss" n’est pas le genre d’album, qui, dès la première écoute, te saute à la gorge, ouvre la boîte à claques par finir en tambourinant le vaisselier de belle-maman avec ton immonde caboche de petit Metalleux obtus… Non. L’art des Suédois se découvre, se laisse explorer, acclimater, pour finalement te laisser accéder au Trésor planqué au fond du labyrinthe.
ASTRAKHAN bannit de fait les impatients en mal de fête foraine, d’éclairs dans les yeux et de hurlements ravageurs. Le charme s’avère puissant mais pas forcément immédiat.

Partisan du fait que le trajet fasse intégralement partie des vacances, je me suis bien évidemment fait ensorceler par ce spiritueux à diffusion lente, et plus particulièrement par la crête de la vague constituée par le groovy et original "One More Day", fort de son solo guitare tonitruant à souhait, de sa ligne mélodique accrocheuse comme de ses variations instrumentales, mais aussi par le puissant titre éponyme et la tresse guitaristique bien entraînante de son refrain ou encore par le très poignant "Alive" dont la symbiose entre l’art vocal de Lycke et la progression instrumentale flirte avec le sans-faute… Mais où vont ils donc chercher tout ça ?

Mention spéciale également pour l’ample et envoûtante pièce d’ouverture, le sulfureux "Hear Me Now" qui annonce clairement que les Suédois ont élevé le niveau à la hauteur de leurs ambitions… et qu’ils ont les moyens de les atteindre ! Une fois sous le charme de ces têtes de gondoles, le reste de l’album s’avère très digeste, même si il ne tape pas résolument dans le bling-bling ou le gros formatage Power-fédérateur qu’on apprécie plus ou moins honteusement de la part de certaines formations. Le très bluesy et brumeux "Stockholm", Ovni de feeling chanté en suédois, en est la preuve tangible.

Mêlant intelligemment des influences Pop Rock, Blues et Metal sauce vintage, "Adrenaline Kiss" se révèle être un album envoûtant même si il ne casse pas les vitres. ASTRAKHAN y développe une musique plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord, magnifiée par les prestations vocales d’un Alex Lycke en pleine possession de ses moyens, voire transcendé sur certains titres ("Ballade De Rhodes"). La mayonnaise prend et en plus elle a du goût ! Le combo signe ici un album réussi, même si toutes les compos ne sont pas du même niveau, très cohérent, se positionnant résolument un cran au dessus du premier opus de 2013. Et ma bonne dame, dans ces cas là : on en redemande !

Prisonnier de la zone négative depuis ce qui me semble être une éternité, je contemple philosophiquement les milliers de constellations immobiles qui m’entourent. Parfois des comètes brûlantes à la course folle me frôlent mais ne font finalement que passer… Certaines étoiles lointaines clignotent paisiblement, allant jusqu’à faire apparaître des nuances de couleurs insoupçonnées. Elles rythment le silence de mon isolement. Je dessine ainsi dans le vide absolu un 4/5 pour la bonne surprise que constitue ce "Adrenaline Kiss", offrande à tiroirs mais très convaincante quand on prend le temps d’en découvrir les méandres. Aussi, je prie fiévreusement l’Intelligence Suprême pour qu’ASTRAKHAN continue ainsi de me surprendre.

- pour le groove et la mélodie : "One More Day",
- pour la belle entrée en matière : "Hear Me Now",
- pour la voix : "Ballade De Rhodes".