Par tous les diables mais que s’est-il passé dans ce bas monde ? Voilà que du fin fond des bois impénétrables une musique lugubre exhorte la Nature a changer de forme et de camp. Voilà que le monde de la nuit prend place, s’expand et ordonne une inversion des cycles nycthéméraux. À présent c’est le royaume de la Lune qui sied aux espèces diurnes qu’elles soient de la faune ou de la flore. Les jours n’en finissent plus de pourrir de leur solitude inerte, les rayons du soleil dardent des plaines silencieuses jusqu’au crépuscule tandis qu’aux premières lueurs étoilées, la Nature s’empresse d’offrir à la nuit ses plus beaux atours.

Et si cette musique ensorcelante qui bruissait de toutes parts aux premiers temps de ce changement était une évidence de ce nouvel ordre en marche ? Le règne du vivant, qu’il soit de sang chaud ou de sang froid ou abreuvé auparavant par la photosynthèse, n’obéit plus qu’à cette musique bannie des âmes pures et obéissantes. La Mort, souriante, apparaît en transparence dans cette nuit totale et nous invite généreusement à prendre part à cette renversée du monde. Nous voilà guidés à former la cohorte des ombres et à bâtir un nouveau monde. Le Black Metal y sera roi, les hordes infectes et monstrueuses de Satan pétriront enfin la Terre de leurs desseins sadiques…

KLÄVITT, KLÄVITT...SKOGEN EVIGT EKA pourrait être cette bande-son de cette fin d’ère. En proposant presqu’une heure de musique variant entre un Black Metal Low-Fi et hypnotique avec un attrait certain pour l’Ambient et instrumentations vampiriques, cette première démo sobrement nommée "Demo#1", comme pour mieux se détacher d’un quelconque message, est enivrante au possible. Cela faisait longtemps que je n’avais pas ressenti en moi à l’écoute d’un pareil Black Metal un tel largage d’amarres possible. Même la trop longue plage d’Ambient "Likpredikan" (= le sermon funéraire) avec son orgue ténébreux et ses claviers hautement atmosphériques nous embarque sur des eaux mouvementées, élégiaques et passablement mélancoliques.

Savez-vous que les titres 1 à 3 ont été écrits et enregistrés dans les bois de Småland (hormis la batterie), et que le maître d’œuvre suédois n’est autre – sans doute - que Swartadauþuz, crédité ici peut-être avec son vrai nom usuel : Skrikets Spelmän. Sa patte maudite est identifiable aisément avec cette propension à nous produire des ambiances sacrément hantées et saturées d’émotions. Les titres "Tvekfylld Lusta av Kvarglömd Skuld" et encore davantage "Bakom Åldermannens Kåpa, Dråpets Händer Darra" sont à tomber par terre. Oui, à tomber par terre d’étourdissements. Ce son de guitare si singulier, cette batterie mid-tempo qui frénétiquement nous entranse, les vociférations hallucinées qui nous environnent les neurones de leurs dialogues douloureux et mystiques, nous feront tourner de l’œil ou rendront chancelante notre marche.

Ce mélomane averti et prolifique qu’est Swartadauþuz s’est encore ici illustré avec ce projet bien original qu’est KLÄVITT, KLÄVITT...SKOGEN EVIGT EKA. Emportant le Black Metal dans les profondeurs des forêts suédoises et de l’univers de la nuit, "Demo#1" est une ode, une célébration de celle-ci. Peu de démos ont autant d’impact sonore. Aussi bien que je me souvienne, la première démo de FOREST SILENCE, "The Third Winter", que vous avez pu lire récemment, serait quelque part du même ressort. Il me faudra vous parler absolument de la deuxième démo de ce projet suédois sorti en tout début d’année dernière "Urskogen", mais aussi d’un autre projet du sieur découvert récemment et qui vaut son pesant d’or : DET VITA TRÄDET. Ne vous attendez donc pas à ce que j’en ai fini avec Swartadauþuz, ce diable est intenable et intraitable.