En 1991, Lagaf' chante "La Zoubida" et LOFOFORA donne ses premiers concerts. En 1995, Franky Vincent sort "Fruit de la Passion" tandis que Reuno et ses potes publient leur premier album. L'histoire de LOFO est celle d'un groupe qui a su trouver et garder un cap en empruntant des chemins de traverse, tout en servant de locomotive pour toute une vague de Rock/Metal appelé "Fusion" ou "Crossover", comme vous voulez. Au cours de ses trente-cinq années de carrière, le groupe a semé derrière lui des cailloux qui ont permis à plusieurs générations de marcher dans ses traces et de raccrocher les wagons. Si les albums de la formation parisienne ont parfois été qualifiés d'inégaux, on a tous quelque chose de LOFO. "Certains me voient trop radical, les autres me trouveront ridicule / En révolte depuis l’école et jamais de ceux qui reculent" scande Reuno sur "La Machette", titre-locomotive de ce onzième album du quartet. Cinq ans après "Vanités", le voici qui propose un album porté par une énergie primale et une intensité sauvage. Comme toujours, le groupe aborde les sujets qui fâchent, mais y ajoute une distance, une pointe de cynisme et d'ironie, de fatalisme parfois, autant d'éléments qui donnent à sa musique un supplément d'humanité. Même si LOFO n'en a jamais manqué.

L'album est un patchwork des influences du groupe. Et si l'on peut déplorer l'absence d'un titre musicalement percutant, à l'image de l'inégalable "Le Fond et la Forme" (2003), Reuno et ses potes restent fidèles à leur cap Fusion/Crossover. Porté par un son massif, qui doit beaucoup au mixage réalisé par Francis Caste (BUKOWSKI, RISE OF THE NORTHSTAR, POGO CAR CRASH CONTROL...), dont il s'agit ici de la première collaboration avec le groupe, "Cœur de Cible" va puiser dans tous les recoins les éléments constitutifs de l'identité LOFO. "Apocalypse" se fait un intéressant titre d'ouverture, qui voit le groupe se faire prédicateur de l'effondrement de nos sociétés post-modernes, Reuno alignant sur un ton volontairement monocorde une litanie de mauvaises nouvelles ("On va tous choper le cancer à force de chier du plastique"). À l'intro, véritable mur de son, succède un groove plaisant construit sur un riff inlassablement répété, un motif que l'on retrouve sur l'accrocheur "A.D Haine". Crossover Punk, "La Distance" se fait agressif et compense le son de caisse claire un peu "fin" par des guitares épaisses et musclées. Le chant se fait cette fois volubile et charismatique, et donne une vraie saveur à ce qui constitue une violente déclaration d'indépendance.

"Cœur de Cible" balaye les styles et les influences. Les accents Thrash de "Maladie Mortelle", qui cloue au pilori la société patriarcale qui s'accroche à ses privilèges ("Quand ils violent des femmes comme des villes qu’on assiège / La violence des hommes, une maladie mortelle"), est du LOFO pur jus, tout comme "La Machette" et "Konstat 2024", les deux singles aux accents Punk qui dressent un constat amère et désabusé de notre société en déliquescence. "Espoir" propose dans sa première partie une construction Rock, façon NOIR DÉSIR, avant de se transformer en un titre pachydermique, à la fois Thrash et atmosphérique, pour un résultat intrigant et savoureux. Le temps, titre rapide porté par une ligne de basse contagieuse, porte sans doute le refrain le plus percutant de l'album, et confère une belle vigueur à la deuxième moitié de l'album. L'album s'achève d'ailleurs en beauté avec "Laisse Pas Faire", titre old school aux ambiances Hip-Hop né au dernier moment, la veille de l'entrée du groupe en studio. Si "Les deux", sorte de roman noir porté par un groove Rockabilly, apporte un supplément d'originalité, le morceau peine néanmoins à s'imposer une fois l'effet de surprise dissipé.

LOFO est toujours LOFO. "Cœur de Cible" n'est pas un coup d'éclat, mais offre un regard éclairé sur le monde et la société. Reuno, très en verve, porte un album musicalement varié, qui bien que manquant quelque peu d'accroche nous offre une bonne poignée de compositions percutantes, qui servent à merveille le propos du groupe. Si, après cinq ans d'attente, on aurait espéré que le groupe nous revienne avec des compositions un peu plus ébouriffantes, du même acabit que "La Machette" ou "Laisse Pas Faire", il nous offre tout de même de quoi remettre des mots sur notre indignation qui couve. LOFO reste un éveilleur de consciences, qui de nouveau ici parvient à allumer un brasier à partir d'une étincelle. Pour cela, le groupe ne nous déçoit pas.