Après le fort intéressant "Vinda" si justement chroniqué par Mr Mefisto, FORGOTTEN WINTER nous revient quasiment d’entre les morts après neuf années d’hibernation. Le virage amorcé avec le précédent album se confirme avec "Lucífugo". La présence spectrale de Silenius et de Protector plane et virevolte au-dessus des inspirations épiques et mélodiques de Trovador et Eremita. Notre duo portugais plonge dans cette rêverie et ce monde des possibles en délivrant à l’intérieur de ce "Lucífugo" les récits fantastiques d’un peuple vivant dans un monde souterrain. Les paroles tantôt en portugais tantôt en velmaer ou en ertzakwy (deux langages inventés), nous accompagnent dans ce monde rupestre.

Et d’ailleurs il y a de l’allégorie de la caverne de Platon notamment dans cette peinture du très talentueux peintre et poète italien Salvator Rosa (1615-1673), dont notamment FAIDRA et OBTAINED ENSLAVEMENT ont repris L’Ombre de Samuel apparaissant à Saül chez la pythonisse d’Endor. Et je m’y suis mis à plusieurs fois pour ne pas y voir qu’une bête rocheuse observant cette entrée de grotte. Après tout, FORGOTTEN WINTER titille notre imaginaire en bien des points, c’est un peu son identité forte et marquée qui nous adresse ce Black Metal quasi onirique par instants mais surtout suprêmement voyageur. Je retrouve parfois dans les rythmes ou dans quelques passages Ambient, l’ombre funeste des meilleurs ELFFOR. Mais attention cette impression s’arrêtera là, car FORGOTTEN WINTER développe de manière beaucoup plus complexe son monde interne. Dans des rythmes très mid-tempo et très justement joués (et avec une vraie batterie je vous prie), Trovador et Eremita nous adressent des nappes de claviers enchanteresses et un riffing délicat doucereusement perceptible.

Certaines pistes sont endrapées d’un mystère de bout en bout et malgré le nombre d’écoutes, il est complexe d’en déchiffrer les inconnues. Je pense notamment à l’incroyable tire "Baile Dos Cadáveres" qui nous dépeint la tour appelée Ascralt constituée de monceaux de cadavres de personnes mortes lors de la bataille d’Uldene (ndlr : le premier titre du précédent album "Vinda"). Ses nombreux passages épiques et saupoudrés de breaks savoureux nous embarquent à multiplier nos interprétations imaginatives. Je pense aussi au quasi-romantique "Lucifuga Vila" qui introduit l’album de la plus bienheureuse des façons. À son écoute, il est aisé dès les premiers instants, de percevoir que "Lucífugo" nous surprendra. Quelque chose se met en place dans l’imperceptible et l’impalpable. Serait-ce une force mystérieuse et envoutante qui serait le truchement d’histoires anciennes et dissimulées ?

Parfois je perds plus ou moins le fil car tout n’est point parfait. D’abord je trouve que la voix Black Metal d’Eremita est perfectible et gagnerait à être travaillée, car elle peut irriter par son manque de profondeur. Certains passages, même si cela reste à la marge, comportent quelques longueurs notamment sur "Nenúfar" et "Ascralt". Je trouve par contre que le dosage entre l’épique et le symphonique des claviers est excellement dosé et induit cette perception assez géniale de lire un livre par l’ouïe. Nous sommes complètement et rapidement absorbés par ce travail complexe et généreux de FORGOTTEN WINTER. À l’instar des albums de SUMMONING, "Lucífugo" se bonifie avec le temps et les écoutes, et ses petites imperfections se gomment au profit des sensations d’immersion que les ambiances atmosphériques dispersent dans nos sens. C’est donc un album dont il peut être aisé de passer à côté si l’on ne respecte pas son corps intérieur, ses fragrances émotionnelles et ses envahissements infinis.