Suffocantes et enténébrées, les salissures et les giclures de EITRIN s’éparpillent dans l’air et le brasse de la plus malfaisante des façons. EITRIN est l’agrégation de trois joyaux noirs de la scène actuelle du Black Metal. D’abord il y aurait Vindsval (BLUT AUS NORD, ERSHETU – dont je vous conseille l’écoute), prescripteur des riffs hypnotiques et saillants comme autant de flèches avides de percer l’horizon pour atterrir dans les chairs humaines. Puis il pourrait s’agir de Dehn Sora (THROANE, OVTRENOIR), artiste soufflant le souffre, aux visions cauchemardesques ; artiste de la fusion des règnes vivants : animal, humain et bestiaire des enfers. Et puis il se pourrait que cela soit bien Mütterlein, chanteuse démone à la croix de bois inversée, dont les vocalises abrutissent les influx nerveux et les tordent jusqu’à l’anévrisme.

Noirâtres et éventrées les ambiances saccadées et emplies de spasmes de EITRIN rejettent un plasma infecté tantôt en flux continu tantôt dans un débit incontrôlé. Et ces viscosités sont à apprécier et à observer au contact des poisons que chacun des titres introduit. Si je parlais aussi de cet hypothétique line-up au subjonctif, il s’agissait pour moi que vous en saisissiez aussi toute la part d’ombre et d’imperceptibilité. Les entités vivantes semblent se soudoyer pour rester juste en contact étroit avec des phénomènes polymorphes bien plus sublimés. Si Debemur Morti - ce label qui pourrait être le pendant Black Metal du défunt Cold Meat Industry ou de Cyclic Law - pouvait nous être conté, nous aurions bien du mal à ne pas être gagnés par des émotions funestes et dérangeantes. Et EITRIN est né pour célébrer les vingt ans de cette usine à horreur qui a enfanté tant d’albums de groupes peu recommandables pour l’homéostasie (SPEKTR, HORNA, ARCHGOAT, AKHLYS, TENEBRAE IN PERPETUUM…).

Crispés et chuchotés les drones d’un Dark Ambient, les dissonances des riffs s’emparent des ambiances et les poussent à leur paroxysme grâce aux parasites des voix de Mütterlein et des chuchotements de Dehn Sora. L’acmé de l’album se trouve selon moi dans les titres tribaux et doomesques, "Phenol - Sinister", "Muscaline – What Is Sacred", qui semble être incantés par une armée des ombres ; les voix de Dehn Sora font mouche et assurent un vertige sans retenue. C’est sur ces tracks que je m’imprègne plus facilement et largement de ce que le monde d’en bas et le tréfonds content de l’agonie des tripes à ciel ouvert. A contrario quand les rythmes s’accélèrent je retrouve BLUT AUS NORD dans toute sa splendeur à la fois avant-gardiste et décadente, avec ces dissonances fulgurantes et lugubres. Je n’en suis pas le plus grand fan mais cela n’est que ma propre limite, et il faut bien rappeler que EITRIN se déjoue avant tout de tous les codes et des attendus. C’est une bête qui se tord et entame son propre chemin, incontrôlable, infatigable. Hors de toute réalité, elle vrombit et se meut de manière spastique et dangereuse. EITRIN n’est donc pas à mettre entre toutes les oreilles. Seules les plus aguerries et sacrilèges, féroces éhontément et abreuvées de pulsions déraisonnables, sauront jouir de leur pleine semence à l’écoute de EITRIN.

Peu importe les poisons, l’écoute de EITRIN est un combat de tous les instants. Cet album ne laisse qu’un unique choix : celui de succomber ou d’en avoir succombé. Ce trio infernal propose à Debemur Morti un monstre d’album, qu’aucunes chimères ne pourraient apprivoiser. À l’ADN toxique et contaminant, EITRIN est une harpie sans nom ou une de ces Érynies agressives et corrosives. Peu de sorties proposent autant de fiel et de monstruosités, il y a bien le dernier ABIGOR mais ils sont autrichiens. La France a ses figures de proue, EITRIN est en train de les dévorer, les crocs dans le gel, et l’hiver n’est pas terminé !