Avec à nouveau une délicatesse infinie, РОЖЬ nous transporte inlassablement vers un espace-temps invisible qui pourrait nous guider vers le chemin de notre propre exil. Un Funeral Doom mâtiné d’Ambient et Post Black Metal prend les commandes de cet EP et en crée les contours diffus. Les nappes ambiantes très imprégnées d’une atmosphère tout à la fois sombre et grandement volatile forment des spires qui n’ont de cesse de provoquer un sentiment d’isolement. La sensation d’être coupé du monde extérieur vient en creux se loger dans nos yeux et nos oreilles. Qu’entends-je de si loin ? Que vois-je de ce là-bas ? N’y aurait-il pas un nouveau langage qui se fomenterait dans ces nuages disparates, dans cet air invisible, dans cette brume éparse ?

Les teintes vaporeuses et austères de "Пасха" paraissent inonder par vagues successives et de manière crescendo chaque parcelle d’une terre désolée. Le violon lancinant, les montées progressives et courroucées des guitares, le chuchotement hurlé erratique de Vladimir donnent l’impression magique de passer derrière le voile des apparences, d’accéder dans un autre monde, aux références inconnues. Ce titre pulsatile, Black Metal dans l’âme conditionne quelque peu un emportement de l’âme et sonne de manière assez torturée pour qu’une forme de mélancolie s’en empare.

Le doux son des oiseaux qui éveillent matinalement la nature introduit "Pукава И Cажа", et cette délicatesse un peu enchanteresse lève la torpeur, réamorcent les turpitudes en nous. Le titre foncièrement typé Funeral Doom marque le temps en l’altérant singulièrement. C’est un titre où les guitares sont lourdes et attaquantes, elles laissent place à la lancinance d’un violon et des voix claires éparses qui semblent apparaître et disparaître dans une brume mélodique. Le titre se termine par le crépitement du feu qui attable le crépuscule sous la stridence des insectes. Est-ce cela le cycle immuable de la vie, l’écueil du temps, la rotation complète des jours, leur achèvement et leur renaissance ?

"Oстов" est un titre d’Ambient atmosphérique qu’un DEAD CAN DANCE n’aurait pas renié. La complainte d’une voix masculine se mêle à ce violon persistant qui se décline sous des notes diaphanes et ténues mais profondes. L’eau accompagne ce titre et elle est ce dernier élément, après l’air, le feu et la terre qui fait surface et parait être le fil rouge des minutes qui s’égrènent. Son éternel mouvement, sa fluidité et sa caresse nous enveloppent et charrient encore d’autres émotions. Ce titre éthéré et soigné écarte la variable d’une quelconque note de Metal. J’ai quelque peu l’impression parfois d’entendre le "Timelessness" de FEAR FACTORY, mais la traduction de ce titre (= l'intemporalité) collerait parfaitement à l’ambiance qu’il produit.

Serait-ce à nouveau la Carélie qui permettrait à Vladimir Frith d’accomplir sa volonté de solitude, l’exil fortuit de sa pensée ? РОЖЬ dans cet EP nous donne le sentiment d’être complètement bercé, de baigner dans nos propres émotions. Il s’agit de l’antichambre du merveilleux "Вcë" déjà chroniqué dans ces pages. Je vous conseille l’écoute prérogative de "Остов" avant d’entamer le chemin vers "Вcë", un LP autrement plus Black Metal dans l’âme et le sang.