Je ne connaissais nullement ce one-man band russe et bien mal m’en a pris. Erreur réparée après une dissection complète de la discographie et initiative de ma plaidoirie, ici et maintenant, pour le petit dernier sorti en tout début d’année.

L’album est introduit par une petite minute de Field Recordings made in Carélie. Forcément, dit ainsi, cela ne nous dit pas grand-chose. Mais un peu de tourisme, le sondage de la faune et flore de ces contrées, permettent de prendre la mesure de l’ambiance et de l’ambition du disque. La région est enchâssée et tiraillée entre la Russie et la Finlande. Elle comprend des forêts à perte de vue et pas moins de 60 000 lacs. Celle langue de terre est une région isolée et marquée par une culture riche, en perdition. РОЖЬ veut littéralement dire seigle. Il s’agit d’une céréale rustique adaptée aux terres pauvres et froides de cette contrée. Mais revenons, après cet avant-propos, à ce qui nous préoccupe ici-même. Comment se meut l’album ?

L’atmosphère est sensible, touchante, voire précieuse. Elle emplit tout l’espace de l’esprit lors des écoutes. Les percussions se veulent tribales parfois et battent la mesure, tandis que les guitares grisaillent dans les brumes profondes. Fermons les yeux et laissons notre esprit dériver, avec le titre "Трехногая Cлава" (= La gloire à trois jambes). Nous pourrions être à l’orée d’un de ces bois, à l’aube, près d’un feu fumant son dernier souffle, entouré du frimas, les membres engourdis et les yeux figés dans les étoiles. Qu’apparaitrait-il ? Que pourraient créer nos connexions neuronales ? Peut-être une perte des sens, peut-être aussi leurs propres rêves et leurs fantasmes inavoués ?

En écrivant ces quelques mots, la pluie m’accompagne et j’aurais tendance à y retrouver, des similarités avec le Cascadian Black Metal, notamment du collectif WOLVES IN THE THRONE ROOM. Je retrouve aussi des affinités d’atmosphères, avec un groupe proche géographiquement de РOЖЬ, le dénommé OLHAVA. Ce dernier sait aussi faire avec la collusion des sens, même si la cavalcade du rythme, se veut plus prompte et engagée.

РOЖЬ se distingue par les envolées planantes d’un chant clair, qui miroite de concert avec la rythmique des guitares, amplifiant ainsi le versant atmosphérique du groupe. Il y a peu de passages hurlés ; le calme n’est pour autant pas toujours prégnant. Des boucles sonores apparaissent et se fondent avec des montées mélodiques. Le travail de composition est soigné et respire l’humilité. Il se veut propre, tout comme la production. Beaucoup de détails émergent, signes évocateurs d’une recherche placide des arrangements. Pour exemple, la plage sonore "Истина" (= La Vérité) qui fait miroiter foule de détails et de ponts harmonieux. C’est d’ailleurs sur cette track, que le Black Metal qui coule dans РOЖЬ, se fait le plus ressentir.

L’aspect le plus brut et le plus sombre de l’album s’affirme néanmoins dans la dernière plage sonore : "Аминь" (= Amen). Nous pouvons y ressentir, toute la fragilité et le désespoir de l’auteur, peut-être aussi toute la fabrique de ses compositions. Sentiment amer ? Colère ? Renoncement ?

Vladimir Frith a le regard doux et rêveur. Sa musique brasse de pair avec son tempérament. Une part de son désenchantement s’intrique et s’imbrique avec sa poésie, laissant une traverse boisée dissiper les brumes, pour donner accès à son univers métaphorique. Un très bon album au-dessus de la pile des sorties similaires. À découvrir donc !