La Pologne est historiquement un terreau fertile de Metal "extrême" (e.g. BEHEMOTH, VADER, DECAPITATED). Au tournant des années 2000, une scène Metal Prog'/Prog' Alternatif s'est développée avec RIVERSIDE comme figure de proue. Elle fait suite à une riche et méconnue histoire, des Rock Progueux de SBB dans les 70s aux Néo Progueux de COLLAGE, ABRAXAS ou QUIDAM dans les 90s et au-delà. C'est par la collaboration de Mariusz Duda (leader, chanteur, multi-instrumentiste, producteur de RIVERSIDE) à trois titres de "S.U.S.A.R." (1) que j'ai découvert INDUKTI. A mi-chemin entre RIVERSIDE et des expérimentations aux effluves Post Metal, leur singularité m'avait harponné. Mais décrochons l'hameçon et remontons le cours des flots.

Les origines d'INDUKTI datent du début des 90s quand Piotr Kocimski et des potes lycéens passaient leurs soirées à écouter KING CRIMSON, ANEKDOTEN, THE BEATLES et NAKED CITY entre autres. Des études musicales/musicologiques, un premier groupe formé (MIKAMWES) jouant de la musique expérimentale, des va-et-vient au sein du line-up (2) et INDUKTI voit le jour à Varsovie en 1999. L'adjonction de deux musiciens au background Classique, la violoniste Ewa Jablońska (qui avait déjà fait partie du groupe) et le percussionniste chevronné Wawrzyniec Dramowicz (titulaire d'un diplôme en Musique de l'université McGill à Montréal, membre du Sinfonia Varsovia, du Polish Philharmonic Orchestra et ancien membre du Montreal Symphony Orchestra) viennent singulariser le line-up. Pas de chant de prévu à la base. Finalement, une amie du groupe, Marta Muraszewska, leur écrit quelques paroles que Mariusz Duda viendra interpréter. Il manquait un dernier atout pour que cet orchestre atypique prenne sa forme finale: la harpe d'Anna Faber.

Et c'est d'ailleurs la harpe qui ouvre l'album avant que ne retentisse un riff monstrueux autour duquel vient circonvoluer un violon dissonant. "Freder" est un parfait opener en ce sens qu'il est à la fois représentatif (en partie) et accrocheur (en diable). Un mix entre des patterns rythmiques à la TOOL et des expérimentations sonores Fripp-esques décalées (époque "Red"), saupoudré d'onomatopées vocales qui participent à la construction habile de la tension.

Mais cette introduction tonitruante est un leurre, en quelque sorte. "S.U.S.A.R." ne rutile pas de bout en bout. INDUKTI manie sa ligne avec dextérité et sait aussi calmer le tempo et laisser du mou (l'aérien "Cold Inside" et sa guitare acoustique et la voix planante de Mariusz Duda et le plus RIVERSIDE-esque "Shade" et sa ritournelle orientale appuyée par quelques percussions) ou carrément s'engouffrer dans des méandres expérimentaux proches du Post Metal de ISIS ou NEUROSIS ("No. 11812" et son jeu sur les dynamiques, la tension et la dissonance et ses contrastes entre mélodies éthérées et riffs tranchants, "No. 11811" et ses atmosphères "noisy", ses bruitages et ce violon versatile).

INDUKTI nous fait voyager et ajoute le didjeridoo à la liste de ses curiosités. "Uluru", célèbre inselberg (relief isolé) australien est une véritable curiosité géologique dont l'existence et le gré rougeoyant ont alimenté les légendes. Au travers d'un riffing à la TOOL agrémenté d'un violon dissonant renvoyant aux expérimentations de KING CRIMSON, INDUKTI nous délivre un Metal Prog Alternatif qui retranscrit plutôt bien l'atmosphère aride et étouffante qu'on imagine dans l'Outback australien. Après un silence, des gazouillis et un bruit de moteur d'avion, quelques notes de harpe crépusculaires viennent clôturer ce voyage qui prend là un côté hypnotique. La harpe sert d'ailleurs souvent de liant (e.g. l’enchaînement entre les pistes 2 et 3) et viendra naturellement boucler la boucle à la fin de "And Weak". Ce dernier aboutit l'album avec force. Un début aérien qui reprend le thème de "Cold Inside" ("And Weak" en est la suite), une superbe progression rythmique, un violon omniprésent, tantôt furieux, tantôt mélodieux, et un final "noisy" avant de laisser la harpe signer l'épitaphe.

Pour un premier album INDUKTI frappe fort. Sans être révolutionnaire, "S.U.S.A.R." détonne par ses choix instrumentaux et son approche expérimentale. Le côté jam (le groupe reconnaît une part d'improvisation dans son processus créatif) pourra en rebuter certains mais l'alchimie entre les musiciens apporte un groove assez communicatif. Malgré le peu de moyens, la production est bonne: chaque instrument est audible et les passages fulgurants ne manquent pas de puissance. Enfin, l'album est très bien construit: un opener et un closer percutants et une alternance intelligente entre le Metal Prog', l'Atmosphérique et l'Expérimental.

La réédition par Laser's Edge pour l'international en 2005 (OFF Music, leur label polonais n'a pas été très sérieux) contient le vidéoclip de "Mantra", un titre instrumental évoquant TOOL, issu de leur Démo 2001.

Note réelle: 3,5/5 montée à 4 pour sa singularité.

Meilleur titre : "Freder".
L'expérimental qui fait monter et relâche la tension : "No. 11812".
Le final percutant : "...And Weak II".

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(1) Le titre énigmatique de l'album pourrait correspondre à l'acronyme médical Suspected Unexpected Serious Adverse Reactions (Événement Indésirable Grave associé à des soins) auquel certains titres semblent faire écho (des émotions: "Cold Inside... I" et "...And Weak II" ; des numéros de patients (?): "No. 11812" et "No. 11811"). S'il est possible d’interpréter les paroles en ce sens, le groupe a déclaré qu'il n'y avait pas de concept. Les textes, jugés secondaires, ont été laissés à une amie et la pochette, n'ayant rien de précis à défendre, à la violoniste.

(2) A noter que certains titres sont en partie (en plus du groupe actuel) crédités (à la composition) à d'anciens membres.
"Shade": Michał Mioduszewski (batterie).
"Uluru": Bartosz Kuzia (guitare), Michał Mioduszewski (batterie).
"No. 11811": Bartłomiej Nowak (batterie).