"The Mutiny" était un cri. "Something Ominous" est son prolongement. Sans s'éloigner de la radicalité de son deuxième album, tout d'abord publié en autoproduction avant d'être réédité par Inside Out après que le groupe eut signé avec ce label, ce nouvel album de la formation franco-irlandaise prend le temps d'affiner le propos et d'explorer de nouveaux territoires moins foncièrement brutaux. En résulte un troisième album aux allures de tâche d'encre : le résultat part dans plusieurs directions, mais reste viscéralement porté par une unité et une uniformisation par le haut des ambiances et du propos. Percutant.

Le son de MOLYBARON peut difficilement être associé à un style. Il y a du Metal Alternatif, du Prog', du Heavy Metal aussi, sur chacun des morceaux qui constituent ce troisième album. Pour donner corps à la vision de sa musique (car il en compose et en écrit l'intégralité), Gary Kelly s'est entouré de ses deux bons camarades Sébastien de Saint-Angel (basse) et Camille Greneron (batterie), auxquels se joint désormais Florian Soum, intronisé en début de l'année guitariste de la formation, remplaçant Steven André qui, selon ses anciens collègues, souffrait de ce syndrome de la "divergence artistique" qui a précipité son départ. En toute franchise, pour qui n'accorde que peu d'importance au line-up, ce changement ne saute pas à l'oreille. Le talentueux Florian se nourrit de ce même amour de la mélodie, comme une bouée de sauvetage au cœur du chaos, et propose des soli souvent lumineux et accrocheurs ("Set Alight") qui participent à enrichir les compositions souvent complexes et ambivalentes ici présentées.

Lorsqu'est paru "The Mutiny" en 2021, le monde était encore englué dans une pandémie mondiale. Deux ans plus tard, il ne va pas mieux, et c'est avec férocité et violence que MOLYBARON a décidé de retranscrire sa perception de l'état de la planète, et des maux qui frappent l'individu. Souvent mystérieux, ou en tout cas polysémique dans son propos, Gary Kelly a conçu un album qui peut de prime abord sembler touffu, car il contient plus de samples, d'orchestrations et de chœurs ("Reality Show") que son prédécesseur. Pourtant, à la racine, tout est là. Les structures des morceaux sont d'ailleurs parfois presque minimalistes. Revenons sur "Set Alight". Le schéma du titre peut paraître simple, et c'est bien le refrain théâtral, presque opératique, de même que ce solo flamboyant dopé par un changement de rythme brillamment amené qui donne sa force et sa pertinence à ce titre particulièrement marquant.

Les références passées à MUSE, SYSTEM OF A DOWN, TOOL sont peut-être toujours d'actualité, mais il y a chez MOLYBARON un sens unique de l'interprétation qui transcende toutes ses influences. La mélancolie rebelle du très personnel "Daylight Dies In Darkness" est ainsi une alchimie unique entre le calme, apportée par les sonorités acoustiques, et la puissance qui ressort des nuances et des aspérités du morceau. Sans que l'on s'en rende réellement compte, celui-ci s'étoffe, s'enhardit et ce qui démarre comme une ballade s'achève en une explosion multidirectionnelle d'ambiances fortes et contradictoires. Toujours cet effet "tache d'encre", qui se fait ici tentaculaire et particulièrement appréciable, et très enrichissant pour l'auditeur qui fera l'effort de s'investir dans l'écoute de ce morceau audacieux.

"Something Ominous" est l'affirmation du son MOLYBARON. Un groupe qui sait aller chercher l'accroche et l'immédiateté, ce qu'il fait avec brio sur "Reality Show" dont le mariage entre la rugosité des couplets et la pétulance des refrains peut évoquer un groupe tel que DIE APOKALYPTISCHEN REITER, maître dans le mariage entre ombre et lumière. Mais la manière de mettre en son, de même que l'interprétation de Gary Kelly, qui semble avoir enfin accepté le rôle de chanteur qu'il avait endossé tout d'abord faute de mieux, n'a pas d'égal. L'audace, également, est bien présente et permet à cet album de constituer ainsi le complément logique de son prédécesseur. Les couplets en partie rappés de "Billion Dollar Shakedown", le piano dominant sur "Breakdown", le refrain flamboyant de "Vampires" sont quelques-uns des atours qui font de ce troisième album une réalisation intransigeante, témoignage d'une grande ouverture d'esprit et d'un sens aiguisé du détail.

Bien aidé par une tournée conséquente, MOLYBARON verra sans doute dans ce troisième album la concrétisation de sa volonté de répandre sa musique (l'effet tache d'encre, toujours). Et s'il est vrai que "Something Ominous", plus élaboré que son prédécesseur, est un excellent vecteur de propagation, permettant de prendre la pleine mesure des intentions artistiques du quartet, il lui manque peut-être un peu de la flamboyance juvénile qui habitait "The Mutiny". Pour sa capacité à souffler sur les braises tout comme apaiser les maux, par sa tendance à gratter dans la plaie pour en extraire la douleur ("Dead on Arrival"), ce troisième album s'impose néanmoins comme une réalisation d'importance dans la carrière du groupe, qui donnera de quoi se sustenter aux amateurs d'un Metal bariolé, pour qui les étiquettes comme les barrières n'ont aucun sens.