Vingt-et-une minutes. C’est le temps qu’il faudra aux Lyonnais de DEADFUCK pour vous désosser en entier, "Bit By Bit", et en douze lambeaux bien nets.

Mathématiquement, vous l'aurez déduit, les morceaux n’atteignent que rarement les deux minutes. Pourtant l'habileté de composition permet de construire une tension croissante : après un "Diégèse" introductif duquel les paroles sont parlées avec une haine grimpant crescendo et tirant jusqu’au scream, "Ecchymose" monte la cadence sur sa première moitié, et nous laisse penser que le trio a déjà atteint sa vitesse de croisière… avant un subreptice break et s’ensuivant d’une montée en intensité, bluffante, qui ne redescendra plus jamais jusqu’à la toute dernière seconde de l’album.

La brièveté d’un skeud n’est pas une tare en soi. Soit l’album est bon, et l’écoute en boucle n’en sera que davantage justifiée, soit l’album est à benner, auquel cas les souffrances seront abrégées plus rapidement. Dans le cas de "Valeur Chair", l’aisance des membres dans la composition donne l’impression que les titres sont vastes, à l’instar d’un développement de philo style "thèse-antithèse-synthèse-prothèse" qui n’entre pas dans une copie double. Exercice périlleux… et incontestablement réussi.

Le chant de Diégo, évoluant dans un grunt-squalé est d'une justesse et d'une agressivité sans commune mesure. Il parvient à débiter les paroles à une cadence exceptionnelle, sans tomber dans un phrasé-rappé qui aurait lassé sur la longueur. Ainsi, d'une oreille distraite, seuls les "bree-bree-bree" ne sont perceptibles, mais en creusant les paroles, l'effort de linguistique est à souligner, baignant dans un registre nihiliste et décrivant les errements d’une société à la dérive au travers d’une sémantique choisie minutieusement.

Pour accompagner cette déferlante vocale, les riffs, incisifs et variés, s’expriment librement grâce à un espace net laissé par les autres membres du groupe, se mettant ponctuellement en retrait pour augmenter l'impact de cette rythmique effrénée. Et évidemment, les blasts de batterie à la sauce Grindcore, tout en double pédale et avec un jeu de snare inlassable et cinglant viennent compléter ce tableau, déjà bien chargé de talent.

Doté de titres plus introspectifs ("Diégèse", "Bétail"), mais également de quelques bangers dimensionnés sur mesure pour organiser quelques bagarres fraternelles dans la fosse ("Charlatan", "Traître"), "Valeur Chair" est un album subtil dans sa violence, souhaitant passer un message fort au travers d’une justesse d’exécution indéniable.

À l’orée d’un CATTLE DECAPITATION, et n’ayant rien à envier à leurs homologues français de BENIGHTED, ce second album de DEADFUCK tape systématiquement juste, et la première écoute ne pourra pas vous laisser indifférent. Les suivantes non plus d’ailleurs.

"Indigestion sociale
J’exècre ce monde de peine
J’ai la haine de la haine
Le seul instant qui inspire l’empathie
C’est de boire des bières dans le pit"

Je ne sais pas vous, mais j’aime bien ce credo.

Note réelle : 4,5/5, on en redemande plus, et si certains titres pouvaient tirer sur le double ou le triple, j’en ferais une réelle indigestion par gourmandise.

Morceaux préférés : "Ecchymose", "Bétail", "Genèse".

Point pochette : très soignée, avec l’habile détail de la balance penchant vers les piécettes, soulignant le poids insignifiant de l’humanité… Merde moi qui critiquais mes profs de philosophie à tout surinterpréter !