KNOCKED LOOSE n’est probablement pas le pingouin qui glisse le plus loin, restons mesurés. Il est de mon devoir d’en avertir nos bien-aimés lecteurs. Et pour autant, nul ne saurait contester l’efficacité de la formule du quintet originaire du Kentucky, mené de micro de maître par Brian Garris depuis maintenant une dizaine d’années. Savant mélange de Thrash et de Hardcore, que d’aucun qualifieraient de Hardcore métallique à la HATEBREED quand d’autres opteront pour le label Crossover Thrash (je fais appel à mon joker Positron sur ce coup-là), les Américains nous crachent leur colère au visage à grand renfort de riffs malsains, martyrisant les tempi à leur bon vouloir ("A Serpent’s Touch"), tantôt pour déclencher un circle pit, tantôt pour malmener vos cervicales endommagées.

Après un "Pop Culture" aguicheur mais inabouti et un "Laugh Tracks" plus solide malgré cette même précipitation à chercher à conclure les compositions en moins de deux minutes, voilà donc le dernier LP en date, paru en 2019. Et, n’y allons pas par quatre chemins, il est très probablement leur meilleur effort studio. Et de loin. Car le combo d’Oldham County a ENFIN pris (un peu) son temps. Disons que les morceaux durent plutôt 3 minutes. Ça paraît court comme ça, surtout pour des amateurs de Prog', mais ça reste 50% plus long que sur le reste de leur discographie. Du coup, il peut se permettre de répéter un riff deux fois, et surtout de travailler ses ambiances ("Guided By The Moon") afin de renforcer l’identité d’un titre par rapport à un autre.

Je précisais "en studio", car évidemment, la formule est imparable en live, quand vous avez un Coreux qui vous beugle dessus, la casquette bien vissée sur la tronche en mode Riley Gale (POWER TRIP, RIP petit ange parti trop vite), soutenu par une rythmique en béton armé (la paire Otten/Pacsun dépote sévère), le tout sur fond de guitares ayant activé le mode SLAYER (l’ouverture de "Mistakes Likes Fractures" ne laisse que peu de place au doute) quand elles ne suivent pas les breakdowns de mammouth en rut. Mais de là à reproduire la combinaison bien calée au fond du canap’ lors des enregistrements, la Bud lite à la main, beaucoup s’y sont cassés les dents.

Je n’irais pas jusqu’à affirmer que la musique de "A Different Shade Of Blue" est sophistiquée, hein! Ça reste un bon gros défouloir, mais les chansons sont plus construites, d’une certaine façon recherchées. Il est incontestable que KNOCKED LOOSE a ici pris son temps pour écrire ses morceaux, incorporant pour l’occasion des éléments nouveaux dans sa marmite, comme un peu de Groove à la MACHINE HEAD ou quelques pincées de Death Metal suédois à la ENTOMBED, et grand bien leur en a pris.

Encore faut-il associer tout ça proprement mais en l’occurrence, quand on compte Will Putney (FIT FOR AN AUTOPSY) derrière la console, on sait qu’on est entre de bonnes mains. Ses productions velues mais équilibrées n’ont que peu d’équivalents, le "Change The Way You Think About Pain" d’INCENDIARY en étant un parfait appartement témoin. Il n’a pas son pareil pour trouver la juste balance entre agression et atmosphères, ménageant de (très) courtes mais savantes pauses afin que chacun puisse reprendre une bouffée d’air avant de replonger dans la bagarre. Cet album ne constitue nulle exception à la règle. Il suffit d’un arpège ("…And Still I Wander South") pour que cela cogne deux fois plus lourd à la sortie. Putney est un maître en la matière, c’est désormais une certitude, et son art s’adapte parfaitement aux groupes de la trempe de KNOCKED LOOSE.

Tant est si bien que les pistes s’enchaînent sans transition mais ne provoquent aucune lassitude ni indigestion, pour peu que l’on soit un tant soit peu réceptif au genre pratiqué, soyons honnêtes. Si l’on n’est pas familier du courant, le risque d’éprouver de la lassitude à se faire gueuler dessus pendant près de 40 minutes est bien réel, malgré les évolutions décrites ci-dessus. Pour le coup, "A Different Shade Of Blue" évolue sensiblement au-dessus de la meute hurlante, proposant un riffing méchant, une production massive, des arrangements bienvenus et un groupe qui prend enfin son temps d’écrire de véritables morceaux. Si vous ne me croyez toujours pas, allez donc jeter une oreille à "Belleville" qui lance les hostilités ou à "Misguided Son", qui y met fin. Vous m’en direz des nouvelles, From Mars to Sirius.

Alors j’aimerais moi-aussi écrire des contes enchantés et déglingués, peindre des légendes macabres, verser dans l’onirisme absolu pour vous narrer les méfaits de ma petite bande de bâtards, tel un Mefisto ou un Storm chroniquant du Black Atmo, le teint blafard, la mèche au vent et l’étendard chimérique prestement levé. Mais cela ne correspondrait tout simplement pas à KNOCKED LOOSE, les chicots manquants, crachant leur noiraud dans le pot à glaviot en bas du bar à gauche. Avec une certaine forme d’élégance aussi étonnant que cela puisse paraître.