Au commencement était un livre, "The Wheel Of Time", de Robert Jordan, qui prévoyait d’être décliné sur douze volumes, pour finir à quatorze, entre les mains de Brandon Sanderson à partir de notes laissées par son créateur qui se savait condamné. Fort d’une reconnaissance internationale mais boudé dans l’hexagone, on ne compte plus les produits dérivés issus du monde créé par Jordan : du jeu de rôle au gaming, en passant par une série TV plus récente (2021), et j’en passe et des meilleures. L’intrigue se déroule dans un univers de type Heroic Fantasy pas si éloigné du Seigneur des Anneaux (d’aucuns diront carrément pompés). Je dois vous avouer à ce stade de ma chronique n’avoir pas lu les 14 tomes (n’incluant pas les spin-offs et autres prequels) avant de rédiger ces quelques lignes. D’ailleurs, vous devez bien vous demander le pourquoi du comment de cette longue introduction et notamment son rapport avec la choucroute.

Mais je vous sais perspicaces, chers lecteurs à la sagacité inégalée. Il existe bien un lien, et il n’est pas des moindres. Le groupe tire son nom de la mythique ville de Shadar Logoth, présente dans l’œuvre précitée (j’ai effectué mes recherches, hein !). Décrite comme une cité jadis florissante, puis maudite, hantée et régie par le mal, dont la simple visite peut corrompre une âme à tout jamais. Quoi de plus étonnant du coup qu’un groupe de Black s’inspire du lieu pour proposer une musique damnée, chargée de noirceur et d’atmosphères lugubres. Plusieurs combos s’en sont d’ailleurs chargé, mais je me concentrerai ici sur la formation américaine, active depuis 2010, qui a d’ailleurs adapté légèrement son nom afin de se démarquer de ses prédécesseurs russes sur le créneau.

"Chapter III: The Void God", sorti en 2020, constitue bien comme son nom l’indique le troisième opus de SHAIDAR LOGOTH et nous propose un Black Metal Atmo qui ne ment pas sur la marchandise. Quatre pistes seulement pour plus de 47 minutes d’écoute, pas besoin d’avoir de hautes compétences en mathématiques pour saisir que le groupe aime prendre son temps. Les amateurs de Hardcore et autres formats courts peuvent dès à présent s’enfuir, ceci ne sera pas pour eux. En ce qui me concerne, je sais me laisser séduire par les deux exercices, du moment que le format corresponde à l’effet recherché.

Il est vrai que pour poser ses ambiances macabres, mieux vaut prendre son temps. Installer ses motifs sinueux subrepticement pour mieux les faire oublier avant de les rappeler à votre bon souvenir, varier les tempi, ménageant avec justesse agression et mélodicité. Bref, vous transporter, oubliant le quotidien et le monde réel qui vous entoure. Et ça, il est incontestable que les petits gars de Minneapolis savent faire. "Chapter III: The Void God" est un vrai voyage dans ce qui s’apparenterait à une terre du milieu revisitée, un Minas Morgul peuplé de Nazgûl et autres infâmes créatures, et en ce sens, tient toutes ses promesses.

Notre voyage musical nous emporte dans ce monde fantastique, où les blasts succèdent au Doom, où les tapis de double-pédale alternent avec des passages éthérés, ou quelques beats Punk viennent briser l’inquiétante léthargie dans laquelle A.C. (hurleur actuel de SKELETONWITCH sous le pseudo d’Adam Clemans si je ne m’abuse) et S.H. nous ont emporté. Du tremolo-picking aux leads classieux, de l’atmosphérique à la fureur, rien ne nous est épargné, et pourtant l’ensemble reste consistant, du fait de cette trame narrative empruntée à l’œuvre originale, que l’on ressent franchement à travers la musique. La versatilité du chant, extrême bien évidemment, est telle que l’impression est de se faire conter une histoire, sans nécessairement attendre un happy end, soyons clairs. Les quatre pièces de la galette s’avèrent extrêmement cohérentes entre elles, même si les deux morceaux dépassant allègrement les quinze minutes ("Nest Of Pigs" et plus particulièrement "Withered On The Vine") sauront trouver mes faveurs, me ramenant à une adolescence perdue lorsque je découvrais les jeux de rôles et ces mondes oubliés.

Le seul souci pour ma part réside dans le principe même que SHAIDAR LOGOTH a choisi comme étendard. À trop coller à sa volonté de nous narrer une épopée, on finit par la contempler en simple spectateur. Là où certains groupes de Black Atmo / Mélo parviennent à toucher profondément, procurant frissons et émotions, amenant à l’introspection comme sait par exemple le faire AFSKY, je n’éprouve finalement que peu de sentiment à l’écoute de "Chapter III: The Void God", qui me laisse de marbre. Les images sont là, imprimées dans mon esprit, mais ne me remuent pas comme elles devraient le faire, ne touchant que trop rarement les cordes sensibles.

Le disque n’en reste pas moins diablement bien exécuté malgré ses longueurs et saura plaire à un public réceptif, amateur de découvertes et d’aventures, d’expériences fantasmagoriques à tendance cinématographiques, pour peu que celui sache s’abandonner à la chose et faire travailler son imagination.