Le label français Antiq a du flair cette année, proposant des albums de qualité les uns à la suite des autres, et "Alternance", de PASSÉISME, l'une des stars de l'écurie, ne déroge pas à la règle. Il faut dire qu'entre l'esthétique soignée du groupe, la production en or et la technicité des musiciens, leur Black Metal ne s'inscrit pas dans la monotone litanie des productions sans génie. Par ailleurs, la fascination de ces Russes pour la fin-de-siècle à la française me les rend d'autant plus sympathique. Un amour qui renvoie à un temps où la France, lumière des nations, était un modèle pour les autres ; il faut par exemple rappeler que la cour de la Russie de la reine Catherine II parlait français. Une autre occasion de méditer sur notre gloire perdue. Ajoutons que le fait que les sieurs soient russes accentue l'audace d'Antiq en ces temps de censure ridicule, d'autant qu'ils se sont fait copieusement insulter à ce sujet par des énergumènes de fond de casserole.

La première chose qui frappera l'auditeur est la forme, qu'il faut diviser en deux incarnations : la production et la technique. Dans le premier cas, difficile de ne pas affirmer qu"Alternance" est un album soigné, très bien enregistré, et dont le parti-pris brut, plus "live", permet à des morceaux résolument conquérants de briller. Mention spéciale à la voix, imposante, rugissante, qui claironne avec force et clarté dans ce vacarme épique. Concernant le second point, PASSÉISME brille par sa technique. Voilà des musiciens de Black Metal qui en imposent. Ça joue bien, ça joue vite, et ça groove très souvent. Nous sommes loin des groupes de Black Metal qui ne jurent que par le tremolo facile. PASSÉISME, lui, choisit la mélodie revêche, la ligne cassée, les turbulences sophistiquées ("Prurient Flamboyance Chant", quasiment Heavy). Notons aussi qu'a contrario de la tradition Black Metal, PASSÉISME met sa basse de l'avant, et pour cause, cela fait bien longtemps que je n'avais pas entendu des lignes de basse aussi incroyables dans un album de Metal ("la fin de "Opulent Sepulchre Chant" avec son solo fantastique). Un art du décorum donc, qui ne peut qu'aller de pair avec l'esthétique décadente dont ils s'inspirent, puisqu'elle réside dans l'excès de tout, l'ornement, le jusqu'au boutisme d'un style excessif et maniéré, qu'Eugenio d'Ors a synthétisé par le terme de "baroque".

PASSÉISME est donc baroque, cela ne fait aucun doute, il suffit de contempler ce magnifique artwork. Mais au milieu de ce déluge de mélodies et de rythmes endiablés, force est de constater le manque d'une émotion qui transcenderait l'expérience. On peut être baroque, décadent, et viser le coeur. PASSÉISME semble oublier cette donnée fondamentale, engoncé qu'il est dans la fougue, la technique et la volonté brute d'en découdre ("Rhapsodic Annoyance Chant" en est un bel exemple). Pourtant, certains passages captent l'attention, heureusement, et permettent à "Alternance" de respirer, même si c'est peu suffisant. Ainsi, "Ominous Bravure Chant", morceau-fleuve de huit minutes, propose une superbe mélodie en milieu de piste, soulevée bientôt par des claviers simples mais efficaces. Ce sont des moments qui devraient être davantage mis de l'avant par PASSÉISME, qui a déjà prouvé son talent technique, mais doit accentuer l'émotion, le narratif. Il ne peut y avoir d'épique que si le tragique s'y mêle, et "Alternance" propose davantage du premier, au détriment du second. Si l'impact est souvent violent, et réussi, comme sur l'incroyable "Stubborn Zeal Chant" avec son entrée guerrière, le tout ne tient guère la distance, et la fatigue peut survenir face à ces excès.

"Alternance" est en définitive un bon album de Black Metal, qui s'extirpe de la masse toujours plus nombreuse et grouillante des productions du genre par ses démonstrations techniques, sa production de feu et son extravagance dans la violence. Cela ne suffit pas à le faire décoller à mes yeux, l'âme n'est pas assez touchée par l'histoire contée ici. À titre de comparaison, VÉHÉMENCE est à la fois capable de chanter l'épique et le tragique, assurant à ses histoires médiévales un ancrage émotionnel qui fait cruellement défaut à PASSÉISME, dont la musique technique impressionne mais cache un manque certain de sensibilité.