La déflagration se devait d’être entendue jusqu’à ce côté-ci de l’Atlantique. Je n’irai pas jusqu’à vous gratifier d’un jeu de mot vaseux relatif au nom du groupe (même si ce n’est pas l’envie qui m’en manque), mais franchement, rarement un combo n’a aussi bien porté son patronyme. J’ai bien conscience que le Hardcore n’est pas nécessairement le cœur de cible de Nime, en témoignent les chroniques les moins consultées de l’histoire du site, mais il est de notre devoir éditorial, chers lecteurs, de vous alerter sur ce qu’il se passe dans le monde du Metal au sens large du terme, qui plus est lorsque l’on parle d’un sérieux prétendant au podium de fin d’année. Il en même va de notre crédibilité, dictée par l’impérieuse nécessité d’informer, encore et toujours.

Pour faire simple au risque de choquer les puristes, INCENDIARY officie à la croisée des chemins, entre le Metal et le Hardcore. Des riffs assassins, parfois inspirés d’un Crossover moins binaire, enrichies d’ambiances élaborées sur lesquelles se pose le chant scandé typique du genre, porté par une rythmique qui ferait headbanger un clou, le tout pour un résultat d’une folle efficacité qui n’est pas sans évoquer chez moi l’effet provoqué par RAGE AGAINST THE MACHINE. Oui, un RAGE moins mainstream dont on n’oserait questionner l’intégrité, tant tout cela pue l’authenticité à 100%.

Formée aux US il y a une quinzaine d’année à Long Island, la formation a peu à peu acquis une dimension quasiment culte, fruit d’une relative discrétion et d’une constance dans la qualité depuis leurs débuts. Non-professionnels, les musiciens considèrent toujours leur existence avec plaisir, et ne sortent du bois que lorsqu’ils le sentent, soit pour un évènement ou concert bien précis, soit pour un album, car le temps est venu. Coup de bol pour nous, c’est le cas en 2023 puisque "Change The Way You Think About Pain" déboule sans préavis six ans après "Thousand Mile Stare", déjà fortement recommandable. Pas de préliminaires, on tue.

INCENDIARY rend donc hommage à son corps défendant aux glorieux anciens. Il ne dépareille pas avec la riche histoire de la scène new-yorkaise en matière de Hardcore, qui a enfanté, dans les années 1980 puis 1990, la fine fleur en la matière. Jugez plutôt : BAD BRAINS, CRO-MAGS, BEASTIE BOYS, BIOHAZARD, SICK OF IT ALL, AGNOSTIC FRONT, et j’en passe et des meilleurs. En dignes héritiers, le combo représente tout ce qui fait la Street Cred’ East Coast, par opposition aux supposés poseurs de l’Ouest. Si cette lignée peut parfois se montrer à double tranchant, collant une légère pression sur les épaules des nouveaux venus, ce n’est pas le cas ici et le groupe se nourrit de cette culture pour pousser le curseur plus franchement sur les versants metalliques.

En parlant de Metal, c’est également l’occasion de souligner à quel point Will Putney (FIT FOR AN AUTOPSY) est un génie. Derrière les consoles pour "The Way You Think About Pain", comme il tend à le faire de plus en plus, il livre une nouvelle fois une partition sans faille, le son étant à la fois âpre comme le genre le demande avec respect, tout en se montrant extrêmement puissant, voire dévastateur par certains moments. Mais surtout, on sent sa patte dans les arrangements multiples qui posent des climats bien sombres tout au long du disque. Il est rare de pouvoir profiter d’un skeud de Hardcore aussi riche, sans qu’il ne bascule dans des aspects commerciaux, en opposition complète avec le message prodigué. Si Putney ne tourne pas avec FFAA, c’est aussi pour cette raison : ce plaisir qu’il a de ciseler des productions à la perfection.

Car ce sont bien ces atmosphères, à l’image de cet artwork travaillé, qui constituent le facteur X pour INCENDIARY. Elles apportent l’épaisseur supplémentaire aux dix brûlots proposés sur la galette, qui exaltent leurs saveurs. Là où tant se contentent d’asséner des mandales dans les gencives brutalement, les New-Yorkais savent apporter des contrepoids malaisants, malgré des durées de pistes qui dépassent rarement les quatre minutes. On en ressort avec une impression de profondeur qu’il est à présent si rare de trouver.

Si la voix de Brendan Garrone évoque clairement Zach de la Rocha (on oublie trop souvent que celui-ci était issu de la scène Punk Hardcore avant de rejoindre Morello & co), ce n’est pas la seule ressemblance. On retrouve également le groove chaloupé de RAGE AGAINST THE MACHINE tout au long de ce LP, sans les aspects Funk, ainsi que ces phrases martelées à la face d’un establishment de par trop autocentré. Les nostalgiques de cette époque se régaleront sans aucun doute. Mais à l’instar des Californiens, c’est bien l’ensemble des musiciens qui est à citer au tableau d’honneur : rythmique en béton armé par le duo McNally/Lomeli et riffing visant la jugulaire pour Nobile/Audley.

Incroyablement accessible pour du Hardcore sans jamais virer putassier, "The Way You Think About Pain" subjugue, tatane comme Jason lorsque sa belle-sœur a été enlevée par des renégats du FBI, malaxe la nuque, les pieds et les entrailles, et donne envie "d’entrer en conflit avec autrui", comme nous proposait Jaz il y a de cela quelques années via une sept-liste toute en finesse (que je vous invite par ailleurs à consulter dans les entrailles putrides de Nightfall In Metal Earth).

C’est donc à l’évidence un grand OUI pour le Kol ! Note réelle : 4,5/5.

PS : votre grande sagacité n’aura pas manqué de remarquer l’absence dans ce torchon de titres de chansons. La rédaction assume pleinement le fait de ne pas mettre en avant un morceau plutôt qu’un autre, l’ensemble s’écoutant d’une traite et se montrant parfaitement homogène. D’autant plus que la galette ne s’éternise pas : trente minutes au compteur et c’est plié. La félicité se mérite, tas de crotales, filez m’écouter cela !