Le malaise m’avait gagné à la suite d’écoutes répétées de Black Atmo (AFSKY) et des Prog Truc Djent chelous (SLEEP TOKEN). Les nuits étaient difficiles, entrecoupées de cauchemars absurdes. Je passais mes journées empreint d’une sévère apathie. Envie de rien, tendances misanthropes, je déambulais ma carcasse voûtée comme empêtré dans un spleen sans fin, quand je décidais enfin d’aller consulter mon toubib favori, à qui je décrivais ma léthargie.

"Ah mais c’est sans doute parce-que vous vous êtes fait manger le cerveau à la petite cuillère par vos collègues Nimiens, monsieur Kol. Ce n’est pas pour vous, tous ces trucs d’intellos. Votre truc, c’est plutôt le genre frontal si je puis me permettre !
- J’aime bien ces disques, pourtant, docteur. Cela me permet de me complaire dans une mélancolie finalement confortable pour mon esprit.
- Je ne dis pas le contraire, mon p’tit bonhomme, mais je préfère vous prévenir, j’ai eu des patients qui n’en sont pas revenus. Ils sont restés bloqués dans ces machin-choses. Regardez le jeune Haplo, là. Il y est toujours, lui. Vous n’avez qu’à lire ses chroniques pour voir qu’il délire légèrement, le bougre… Non, il faut vous réveiller, mon garçon. Je vais vous prescrire une petite cure d’HATEBREED. Voilà, ça, c’est bien. Et puis tant qu’à faire, vous me prendrez également du KNOCKED LOOSE au coucher. Ça devrait vous faire du bien !"

Je ressortais donc avec l’ordonnance griffonnée à la hâte par mon proctologue et filai promptement à la pharmacie récupérer les cachetons prescrits. Un peu de Hardcore mâtiné de Metalcore, donc, en guise de traitement. Ma foi, pourquoi pas, cela m’avait plutôt réussi par le passé.

Je tendis donc la bafouille du médecin à la sémillante jeune femme en blouse blanche :

"Alors, qu’avons-nous là… Voyons voir… Ah flûte, il va y avoir un problème, Monsieur Kol. Voyez-vous, le client précédent, un certain Fenryl, a vidé l’intégralité de notre stock, nous n’avons plus ces produits en magasin. Je file dans la réserve voir si je peux vous procurer un générique."

Alors que je regardais… ses épaules partir dans l’arrière-salle, je sentis la morosité me gagner de nouveau. "C’est bien ma chance", marmonnais-je dans ma barbe de hipster boomer… Cindy revint quelques minutes plus tard.

- "J’ai bien ceci à vous proposer, mais je vous préviens, c’est un nouveau traitement. Enfin, ça date quand même de 2021. Ça été développé en Suède, par l’ancien leader du laboratoire GRIEVED. C’est leur premier médicament. En revanche, c’est un traitement court, Monsieur Kol ! Un petit EP nommé "Extended Pain" faisant effet en onze minutes à peine. Cinq pilules à enchaîner d’une traite, prise unique."

N’ayant rien à perdre, je filai illico m’administrer le suppo à la casbah.

(…)

Traitement choc s’il en est : tourbillon de pistes directes, 2’38 pour la plus longue, je vous laisse imaginer le reste des titres. Guitares tranchantes et acérées, rêches comme du papier de verre, leur rythme saccadé m’évoque un Metalcore bien intègre, tandis que s’échappent de petites harmoniques délicates (ou pas). De son côté, la voix Hardcore s’avère sans concession aucune, martelant ses lyrics comme pour fracasser mon crâne à coup de tisonnier. La batterie tabasse également, en osmose avec une basse bien claquante et sale, révélant à l’occasion des breakdowns lourds et puissants que ne renierait pas un groupe de Deathcore ("Grayout", "Parasite"). Bim, Bam, Boum, tout cela plié à chaque fois en deux temps, trois mouvements.

(…)

Coup de fouet immédiat, je me relevais de mon fauteuil prêt à en découdre avec ma table basse. Malheureusement, une heure après, j’étais retombé dans mes turpitudes du moment. Je me renfilais donc le bazar, qui s’avérait de moins en moins efficace au fur et à mesure de mes écoutes. Trop court, l’opus l’était indéniablement. À condenser autant d’énergie en si peu de temps, THROWN avait oublié de composer des titres complets, ne laissant pas les ambiances s’installer, passant trop rapidement d’un plan à l’autre. L’impression d’avoir assisté à une bande-annonce alors que je m’attendais un film dans son intégralité…

J’étais néanmoins sorti de ma torpeur, comme Cindy me l’avait fièrement annoncé. Après tout, c’était le but de ma démarche et le combo m’avait redonné goût à la bagarre, même s’il allait m’en falloir plus pour stabiliser un état encore fragile. Je prendrai ceci comme un prétexte pour retourner voir la plantureuse damoiselle et lui demander un petit coup de rabiot.

Toutefois, je notais par conscience professionnelle le blase des gamins sur mon cahier maculé de tâches de gras. Il allait quand même falloir les surveiller du coin de l’œil, ces p’tits cons.