J’ai toujours eu un faible pour les albums qui sont traversés par une forme de mélancolie. Certains d’entre eux me faisant réapparaître, la gravure "Melencolia" dessinée par Dürer, où un ange impassible apparaît, les yeux plongés dans le vide de l'ennui. GRIFT a trouvé dans cet écho toutes mes faveurs et ce, depuis le début de sa discographie. Je m’arrête sur "Arvet" car il faut bien que NIME prenne connaissance et la mesure, de ce one-man-band habile et inspiré.

Quelque chose m’avait particulièrement saisi lorsque j’ai entrevu le clip du morceau fabuleux qu’est "Den Stora Tysnatden" ; un titre tout simplement magnifique, beau et triste, comme une pluie entremêlée de larmes. Un vieil homme, qui s’avère être le père de Erik Gärdefors, unique membre de GRIFT, apparaît comme un vieil anachorète désenchanté. J’eus l’impression d’obtenir des clefs de réponse dans le regard de cet homme, à propos de sa propre destinée, mais aussi à celle qu’il transmettait à son rejeton. Le clip témoigne d’une passation poétique, entre le temps passé et celui à venir, le tout dans une atmosphère folkloriquement boisée. Nous ne sommes pas en Suède pour rien, là-bas, l’air des anciens, l’histoire du pays, se hument à pleins poumons dans les traverses des chemins, dans les tourbières boréales et les lacs épars.

Les lamentations criantes de Erik G. participent à rendre perceptible, l’émotion débordante qui bout sous sa peau et coule, non sans douleurs, dans ses veines. Ses complaintes criardes n’ont de cesse de rendre compte des grands questionnements existentiels qui s’agitent en lui. L’approche testimoniale de "Arvet" (littéralement héritage en français) est marquée. GRIFT sonde les éléments du passé pour comprendre les clefs du présent, du sort latent.

Erik G. convoque ainsi toute une panoplie d’émotions et les fait travailler en utilisant, notamment le nyckelharpa et le psalmodikon, deux instruments traditionnels de la culture scandinave, pour apporter un peu de liant aux histoires contées, mais aussi, accentuer la candeur nostalgique et les amertumes. Des enregistrements de terrain apparaissent et parsèment certaines compositions notamment "Morgon På Strömsholm", qui semble relater une histoire ancienne. Les leads féminins qui clôturent "Utdöingsbygd" sont aussi du plus effet. Lui-même alterne parfois le chant clair au chant hurlé et l’on ressent que son timbre de voix, en a sous la glotte. L’album est empreint de nombreux détails, les titres ne sont pas linéaires et s’expriment chacun de manière très personnelle. Les talents de composition d’Erik G. sont prégnants et en véritable touche à tout, sa musique est difficilement classable. Je pourrais dire cependant qu’elle alterne entre de la Néofolk, du Black Metal atmosphérique et des incursions d’Ambient.

Erik G. n’en est pas à son premier coup de maître. "Syner" a été son premier long effort. S’en est suivi un split avec DRUDKH, paru en 2016. Un Live et des EP acoustiques sont sortis depuis, montrant aussi la palette Néofolk et talentueuse de l’auteur. Cette démarche possède quelques connexions avec celle de Marcus Stock d’EMPYRIUM, autre prodige polymorphe ; quoique sa musique, semble moins sombre et grisâtre qu’elle ne l’est chez GRIFT.

Pour conclure, j’aimerais vous dire que GRIFT n’en a pas fini avec sa démarche existentielle passionnante et sa quête de sens. Un autre album, tout aussi excellent, est sorti au tout début du COVID. Il se nomme "Budet" et développera, davantage encore, la grisaille mélancolique et les cogitations.