La magie d’une pochette. Personnellement, je trouve toujours cela merveilleux quand un groupe se donne les moyens d’avoir un artwork digne de ce nom qui, à défaut de provoquer l’impulsion d’achat, attise toutefois la curiosité pour qu’on se dise « tiens, va falloir que j’écoute ce truc ». Évidemment, c’est parfois mensonger et peut très bien dissimuler un piège à ours destiné à arracher les oreilles des imprudents qui les jetteraient dessus. Celle des "Retranchements" de SILHOUETTE est une véritable promesse. Elle place à elle seule la barre très haute. Pour un premier essai, c’est un pari aussi audacieux que risqué, mais qui se fera indéniablement remarquer.

Que nous dit-elle exactement ? Ce que l’on voit tout de suite, c’est ce personnage gris, accroupi, au milieu. Puis, à sa droite, un être plus sinistre en train d’agiter un encensoir et on finit par comprendre que la silhouette du milieu n’est que fumée. Puis l’œil glisse à la gauche de l’élément central et à travers le vitrail, on distingue une lumière rouge, sinistre, comme si l’édifice religieux – car il ne peut s’agir que de cela, n’est-ce pas ? Une église ou une cathédrale – se situait en Enfer ou qu’un incendie faisait rage à l’extérieur, prêt à l’englober. Franchement, on sent le travail de recherche, nous sommes loin de ces jaquettes façon photocopie des origines du genre.

Alors aussi, on place le disque sur la platine avec une certaine impatience, en se demandant ce que l’on allait se prendre dans la figure et là… Là… ben des arpèges. Puis une voix féminine angélique, assurée par Ondine, que certains connaissent peut-être de par son passage au sein de BOVARY, surgit dans ce brouillard mélancolique. Elle sera d’ailleurs le point de repère le long des sept morceaux qui composent ce "Retranchements". Certes, il apparaissait de façon évidente que l’on aurait droit à quelque chose de mélodique, mais je dois le confesser, cette approche est plutôt séduisante. On peut légitimement penser à un DARK SANCTUARY plus électrique, surtout que l’enchaînement avec "La Première Neige" se fait tout en douceur, sur une mélodie similaire.

Puis, d’un coup, tout s’obscurcit. La guitare se fait plus mordante, la batterie se densifie jusqu’à virer aux blast beats et la voix devient masculine et se veut écorchée. Yharnam ne fait pas dans la dentelle, il se veut abrasif bien comme il faut (le chant clair sur le title track est assuré par Clément Chateau). En revanche, ses interventions ne sont pas des actions dominantes. Elles sont surtout là pour apporter l’obscurité qu’il faut pour répondre à la lumière que représente Ondine, pour établir une espèce d’équilibre qui devient nécessaire pour ne pas sombrer soit dans la monotonie, soit dans le hors-sujet. Sans les passages Heavy, SILHOUETTE pourrait fort bien nous guider vers la torpeur.

Bien entendu, Ondine tient un rôle plus important. Comme cela a été mentionné précédemment, nous la retrouvons sur les sept compositions qui constituent cet album. Elle est le phare au milieu de ces complaintes brumeuses, le point de repère de chaque morceau, que l’on attend, que l’on recherche, et qui soulage dès qu’on l’entend, comme sur le title-track, où elle apparait en backing tout d’abord. Évoquer l’équilibre n’est en définitive pas le bon terme puisque la lumière finit ici toujours par transpercer la grisaille, voire les tempêtes qui recouvre les compositions. Si l’on devait comparer cela au sempiternel combat entre le bien et le mal, on devinerait assez vite qui gagnerait.

Alors non, on n’échappe pas à certains stéréotypes propres au Black Atmosphérique. L’alternance entre la paix et la saturation devient rapidement prévisible et forcément, les interventions de Yharnam impressionnent moins rapidement, sauf quand il donne de véritables répliques, technique peu utilisée mais qui peut offrir des perspectives d'évolution pour la formation. Il se développe également une trajectoire un peu plus Shoegaze dans l’idée, qui pourrait parfois rapprocher SILHOUETTE d’un ALCEST d’une époque qui semble aujourd’hui un brin révolue. Mais, en réalité, quand l"Outro" s’achève, l’album laisse un petit goût d’inachevé. Parce que des portes sont ouvertes, mais elles ne conduisent parfois sur rien de vraiment concret, comme si le groupe jouait tout de même la carte de la sécurité en s’enveloppant dans sa couverture d’ambiances qu’il maîtrise parfaitement et dont il ne sort pas vraiment.

"Les Retranchements" reste une jolie découverte à défaut d’être un grand disque. Il est dommage que les musiciens aient à moment donné cédé à une certaine forme de facilité et que l’ensemble se fonde dans une logique trop rarement brisée. Il ne lui manque pas grand-chose pour devenir plus aventureux, mais les moments réellement explosifs lui font défaut, les moments les plus arides restant, à mon sens, encore trop timorés, n’apportant pas suffisamment d’obscurité pour balancer un réel contrepoids à la lumineuse Ondine. Alors oui, la pochette reste toujours autant révélatrice de l’œuvre qu’elle dissimule. Mais j’aurai presque envie de dire qu’elle est plus réussie que l’album en lui-même, ce qui est, malgré tout, une légère déception en soi.