N’ayant pas eu l’opportunité de venir au monde doté d’un smartphone écran plat ultra-connecté ou de m’en faire greffer un dans la main au fil de mes tendres années, j’ai ainsi été confronté aux nouvelles technologies en général et aux merveilles de l’informatique en particulier plutôt en mode solo et (gros) pixels. L’installation puis l’affichage en 256 couleurs d’un audacieux jeu de casse-briques relevait alors de l’exploit et à ce compte, inutile de dire que vouloir se connecter à des serveurs distants pour consulter des contenus multimédias en haute résolution relevait tout simplement de l’utopisme le plus débridé ou de la science-fiction pure et dure !

Tout ça pour te dire, Ô cher lecteur Googlelisé, que je me rends bien compte aujourd’hui être un tantinet décalé par rapport à des générations d’internautes-nés, pour qui le fait d’être Interneté en permanence, d’agir d’un clic de souris ou d’un tapotement de doigt ou encore de participer à des projets digito-collaboratifs sur les réseaux sociaux ou autres forums dématérialisés est finalement aussi naturel que l’était pour moi le fait de descendre acheter mon magasine de Metal préféré chez mon p’tit libraire habituel. Le citoyen Web 2.0 de 2022, et par extension le zicos métalleux connecté, se veut interactif et numérique… C’est en outre le cas précis de l’ami Michael "Mike" Kupris from Nashville, guitariste émérite entiché de Prog et surtout à l’origine du projet musical CRUSADE dont nous parlons aujourd’hui.

Car sur les réseaux, et plus particulièrement sur une hégémonique plateforme anglo-saxonne de partage vidéo, notre Mister Kupris est surtout connu comme un blogueur invétéré, youtubant à tout va tant sur sa conception du riff idéal que sur des avis à propos de telle formation ou de tel guitariste. S’affichant sous les pseudos exotiques mais parlants de "The music snob" ou "#becometheknight", notre gratteux de Metal Prog 2.0 s’avère être l’animateur de fait de la chaîne tubesque "Become the Knight" sur laquelle il propose aux foules d’avatars de partager ses états d’âme guitaristiques au travers de vidéos par paquets de dix. C’est d’ailleurs peut être parti du constat selon lequel il serait sans doute opportun de se faire enfin connaître comme guitariste-compositeur sur un album digne de ce nom au lieu d’être immortalisé comme tête de gondole sur une chaîne de vidéos que l’ami Kupris s’est lancé dans l’aventure CRUSADE !

En vérité, il n’en est pas à son coup d’essai le bougre : mais le mini-album "Crush" paru en janvier 2012 n’ayant pas brillé pour sa reconnaissance internationale, Mike Kupris profite ici de sa nouvelle popularité Youtubesque pour associer le projet CRUSADE à un noble objectif touchant à l’essence même du Metal Prog, à savoir selon l’intéressé "Retirer le côté prétentieux du Prog et le remplacer par un art brut et puissant." ; visée ambitieuse s'il en est : notre chroniqueur digital revendiquant clairement sa filiation artistique auprès de formations comme OPETH, DREAM THEATER, PERIPHERY ou encore THANK YOU SCIENTIST qui, si elles ne le disputent pas à la prétention, ne s’illustrent pas non plus par la simplification instrumentale la plus farouche...
Bref, un beau et noble challenge que ce "Rising Visionary" paru en avril 2021 sur lequel Kupris s’entoure entre autres de guests également issues de l’univers du Youblog et manifestement désireuses d’en découdre avec le sang et la sueur d’un véritable album. Alors, ne voulant pas faire durer ce (faux) suspense de manière abusive, j’indiquerai que sans pour autant constituer la crête d’un raz-de-marée révolutionnaire en matière de Metal Prog, "Rising Visionary" constitue néanmoins une sympathique et agréable exploration pour les amateurs du genre comme pour les aficionados d’un son un peu plus "raw".

Car CRUSADE, c’est avant tout des guitares omniprésentes et placées en devant de la scène pour de nombreuses séquence bien riffées, des soli déchirants et spiralants en mode guitar hero ou encore des lignes rythmiques punchy à ravir qui ont du coup tendance à masquer un tantinet une base basse-batterie certes véloce et ultra-synchro, mais qui s’en retrouve de fait un peu diminuée. CRUSADE c’est ensuite une jolie brochette de chanteurs qui, malgré leurs anonymats respectifs, ne souffrent d’aucun complexe et s’en donnent à cœur joie ! Qu’il s’agisse d’organes clairs aux coffres très convaincants comme d’amateurs de growls qui ne sont pas là que pour faire de la figuration, les partie voix tiennent, à côté des guitares le haut de l’affiche… L’ami Kupris étant guitariste mais également vocaliste sur deux des six titres chantés, y aurait-il un lien de cause à effet ? Cette mise en avant se voulant plus une signature qu’un handicap, la musique de CRUSADE demeure par ailleurs riche, pleine et chargée, n’hésitant pas à placer des séquences particulièrement rugueuses qui illustrent à merveille ce que Kupris annonçait comme "un art brut et puissant". Et même si les standards du Prog sont scrupuleusement respectés avec la présence d’alternances vers des passages plus modérés, voire minimalistes au niveau instrumental, et qui apportent un peu d’apaisement dans ce bloc compact, il est bien clair que le combo ne fait pas dans l’atmosphérique mollasson mais privilégie clairement l’énergie et la générosité sonore. De la même manière, les musiciens s’adonnent sans restriction à l’exploration de structures volontairement alambiquées où les breaks, bridges et autres variations propres au genre concerné sont naturellement expérimentés : la linéarité ne faisant pas partie des nouveaux critères de Kupris pour son Prog-à-lui.

Cette énergie condensée à l’efficacité tapageuse transpire littéralement du dynamique et entraînant "You’re Not Welcome" dont la rythmique compressée alliée à un refrain à la mélodie prenante conduisent à un solo tant hargneux que brillant. Dans la diagonale opposée de cette belle pièce d’ouverture, CRUSADE offre à l’auditeur un majestueux et long titre de clôture construit sur un crescendo feu d’artificiant dont les bordures sont constituées par une belle mélodie piano-voix. "Standing Before The Fall" propose ainsi une montée en puissance par vagues successives conduites par des lignes rythmiques techniques et hargneuses comme par des creux volontairement soft qui aèrent intelligemment le flux instrumental. Une ligne de chant volontaire et accrocheuse y vient couronner le tout… Bluffant ! Entre ces deux vertueuses extrémités, CRUSADE alterne des titres globalement riches et velus mais qui affichent une certaine tendance à partir un tantinet dans toutes les directions, à l’image du massif et quelque peu fouillis "House Of Cards" dont les multiples virages rythmiques ou mélodiques, symbolisés par les soli croisés guitare / claviers peuvent s’avérer déroutant. "Insatiable" et "Vision" reprenant grosso modo la même recette et les mêmes ingrédients, ils souffrent selon moi des mêmes faiblesses à savoir, de jolies prestations portées par une chouette mise en place mais un sentiment global de voluptueux brouillon dans lequel les schémas de l’ami Kupris partent un peu dans tous les sens… Mais bon, chez NIME ont est bienveillants et c’est pas tous les jours qu’un quidam VidéoTubé se propose de redéfinir le Metal Prog !

Mention spéciale néanmoins pour l’instrumental et très punchy et inspiré "Go Full Epic" qui vient relancer la machine après ces petites considérations un peu paumantes...

Intégrant effectivement une dose supérieure à la moyenne de riffs tranchants et de growls décapsulants, "Rising Visionary" secoue quelque peu le cocotier d’un genre que certains pourraient juger trop soft à leur goût. Nourri de ces bonnes intentions, CRUSADE propose une musique globalement riche et ambitieuse mais dont les entrelacs foisonnants et autres figures de style risquent d’en perdre certains. À savoir avant de risquer une écoute donc.

Maquillé et fardé comme une star du septième art en mal de reconnaissance, je transpire sous les spotlights de mon studio vidéo à partir duquel j’alimente ma chaîne "h@plo_Tedonnesonavis". Je me répète mentalement les arguments et mimiques visuelles devant justifier du 3/5 que j’attribue à "Rising Visionary". J’active l’enregistrement… ça tourne !

- pour la belle entrée en matière :"You’re Not Welcome",
- pour l’instrumental convaincant :"Go Full Epic",
- pour la clôture longue et pimentée:"Standing Before The Fall".