Quand on vous dit Oi!, vous risquez de pas saisir de suite de quoi on cause, un raccourci utile pour simplifier serait d’évoquer le Street Punk pour le côté musique, et des gros hools pour le côté esthétique - voilà le cadre posé. Si on s’autorise un niveau de détail un poil plus élevé, il faut aller au fond des choses et parler des Mods, de toute la culture Skin et son fameux "spirit of 69", du Reggae, choses qui peuvent sortir de nos centres d’intérêt et de compétences. Niveau de détail largement superflu pour les groupes les plus caricaturaux des groupes de Oi!, pour lesquels parler d’un gros skin bourré à la bière est largement suffisant, mais nécessaire dès lors qu’un groupe propose une musique qui conserve un peu de ses racines et ne fait pas qu’un simple Punk métallisé primitif.

TAXI DRIVER fait partie de ces groupes non caricaturaux, c’est tant mieux mais du coup il faut en parler dans les grandes largeurs et si possible à des lecteurs suffisamment avertis. Disons-le d’emblée, la force du groupe c’est d’échapper au cliché qui semble dominer chez beaucoup de groupes anglais de Oi! dominés par la culture du stade et par les hymnes footeux, approche un peu trop restrictive pour fignoler une musique méritant un tant soit peu le qualificatif de personnelle. Il me semble d’ailleurs que la plupart des groupes français ont réussi à sortir très vite de cette imagerie et à proposer une musique plus ambitieuse et progressivement plus violente et plus intense que celle des skins britanniques, trop content de disposer d’une musique à gros sabots qui fonctionne parfaitement comme fond sonore pour supporters. Cette imagerie et cette ambiance est ici complètement absente et en fait n’importe qui peut aborder la musique du groupe avec un esprit frais : rien ne vous renverra à ce que vous associez, souvent à raison, à la Oi!, et ce pour le meilleur.

Précisons d’abord que “Tout Est Effacé Par Le Temps“ est un album enregistré en 2000 mais constitué intégralement de titres composés par le groupe lors de son existence originale de 86 à 90, le groupe n’ayant à l’époque fait que deux démos qui capturaient déjà ce son original et aventureux. C’est vous dire, pensant qu’il s’agissait d’archives ressorties en 2000 et non de vieux morceaux enregistrés après dix ans d’inactivité, je me disais des trucs comme ah ouais, on sent que le chanteur il est jeune et vénère, on sent qu’ils ont de l’énergie et qu’ils en veulent ! Une interprétation toute en passion, va sonner si frais dix ans plus tard en sauvant de justesse ces chansons de l’oubli, un coup de maître ! Plus récemment ressorti dans le cadre de la série "Oi! The vintage series", qui propose des trucs parfois relativement barrés pour ce genre musical, TAXI DRIVER s’est vu ainsi décrire au moins une fois comme un groupe "Progressif". Cette étiquette est sans doute très galvaudée mais rien que pour les positionner par rapport au reste des groupes officiant dans le même style ça reste une info utile. Y a qu’à voir les photos : ces mecs ont pas l’air très différents des autres groupes de jeunes débraillés qui ont pratiqué ce genre musical, d’où leur vient cette spécificité ?

Un élément pris parmi tant d’autres, ces paroles compréhensibles dans leur totalité, ce qui est très rare pour un groupe de Oi!, d’autant plus que le groupe y attache assez d’importance pour les faire figurer avec le livret, ce qui n’est pas non plus si répandu. Textes en effet un cran au-dessus de beaucoup, quoique moins propice à en faire des hymnes, expriment une sensibilité particulière dont on retient un certain caractère désabusé, même si les textes sont parfois un peu trop cryptiques, avec cette impression qu’il manque un truc pour bien saisir l’histoire. Enfin, ce problème est récurrent chez énormément de groupes qui ont plein d’idées mais du mal à les caser dans des chansons trop courtes, et s’en accommodent souvent très bien, quitte à paraître plus lourdeaux qu’il ne le sont vraiment. Ici ce n’est pas le cas, et les textes sont assez politiques pour être galvanisants, assez vagues pour ne pas être lourds, je suis vraiment agréablement surpris par les tournures et les propos.

Mais l’essentiel, la musiqueuh la musiqueuh ? Rock, Punk, TAXI DRIVER est un peu en marge de tout, la faute au style pratiqué, tout en finesse, d’une qualité souvent assez éthérée, ce qui lui donne un caractère franchement mélancolique voire, comme le groupe ne se départit jamais d’une amertume prononcée, nostalgique ("Jean-Baptiste"), et ce même lors de nombre de morceaux plus virulents (ce plan on ne peut plus “moody“ sur le refrain de "Les Mines"). Sans même rentrer dans le détail des compos, on retient surtout un son distant et mystérieux, propice à l’envoûtement plus qu’autre chose, une sorte de douceur incarnée par des titres comme "Effacé Par Le Temps", qui laisse un max d’espace pour des plans mélodiques introspectifs, avec une basse ronronnante qui se cherche et semble errer au petit bonheur entre des attaques de riffs incisifs. En matière de tubes, citons l’inévitable "Travis", comme le héros du film, dont l’histoire récapitulée à coups de riffs dantesques assoit parfaitement l’univers de galère et d’errance du groupe. Des titres à la fois noirs et pêchus : prenez "Plus Jamais", "Journal D’Une Victime", prenez-les quasiment tous ! En guise de final, un titre de Ska pur électrisant particulièrement jouissif (j’ai une faiblesse pour tout ce qui est rythmé à la bouche à coups de “tschi tschi tschi“).

TAXI DRIVER peut se vanter d’avoir saisi dans le vif, quasiment comme si rien n’avait changé, un album travaillé et très accompli qui, malgré sa hargne, accomplit le succès rare de vous plonger dans une ambiance spéciale plutôt que de vous bombarder, une sorte de simulateur de grisaille qui ne s’enfonce jamais dans le misérabilisme. À moins que l’enregistrement tardif de l’album après une poignée de répétitions ait permis au groupe de se présenter sous son meilleur jour et avec suffisamment de recul pour que ces chansons n’aient plus grand-chose à voir avec le style musical dans lequel les musiciens étaient immergés ? On s’en fout, TAXI DRIVER est (était) grand et quoi de mieux que de livrer un album intemporel une fois disparu de la circulation depuis belle lurette ?