Si vous saviez le nombre d'albums de Heavy traditionnel qui sortent en ce moment... Tellement que l'on parle désormais d'une NWOTHM, pour New Wave Of Traditionnal Heavy Metal, et c'est plutôt justifié. Dans ces conditions, impossible de tout chroniquer (à moins que chroniqueur soit un travail à plein temps, ce qui n'est pas mon cas), déjà que l'on a bien du mal à dégager du temps pour écouter autant de sorties... Donc il faut faire un tri, des choix. Forcément on va privilégier les groupes qui se distinguent par leur niveau qualitatif. Et mon dévolu se portera sur les Canadiens de TRAVELER, groupe très révélateur du dynamisme de la scène canadienne actuelle, qui est au premier plan dans ce énième "revival".

Alors évidement, si pour vous l'originalité est un critère d'appréciation sine qua non, n'allez pas plus loin. Ou si vous pensez que le Rock est mort depuis NIRVANA (ha ha ha !), laissez tomber aussi. Si en revanche vous êtes toujours aussi demandeur d'un Heavy Metal de tradition comme il fut forgé dans les 80s et que vous vous moquez des tendances et des qu'en dit-on, alors il faut impérativement que vous écoutiez cet album.
Principalement mené par le guitariste Matt Ries, TRAVELER a presque des allures de ce que l'on appelle un "super groupe" car constitué de musiciens qui officient tous dans d'autres formations canadiennes. Le Matt Ries en question ayant notamment actuellement un total de trois groupes différents. Au chant on retrouve l'excellent Jean-Pierre Abboud, qui s'est fait remarquer pour son travail avec BORROWED TIME et surtout récemment avec GATEKEEPER, très certainement un des meilleurs vocalistes du moment dans ce domaine. Car la force de JP Abboud c'est d'asseoir sa propre personnalité : il sonne comme lui-même, un chant plein, nimbé d'un soupçon de reverb, capable des agressions que nécessite le genre mais sans jamais jouer au screamer auquel on aurait coincé les parties dans un étau. Sa voix est dotée d'un voile qui lui donne une chaleur réellement peu commune dans ce style, tout en étant éraillée juste ce qu'il faut, parfois un peu au bord de la rupture. Il est clairement un des gros points forts de cet album, et se révèle ici encore plus à l'aise que dans GATEKEEPER.

Au royaume du Heavy, on veut du riff. Et TRAVELER nous en sert à haute dose, c'est que Matt Ries est un riffeur très inspiré, il a clairement tout compris au Heavy d'une décennie qu'il n'a pas vécu mais qu'il a sagement étudiée, c'est certain. "Starbreaker" ouvre en trombe l'album, riff immédiatement accrocheur, refrain ravageur, tout y est. Le groupe joue vite, parfois très vite, mais ne fait clairement pas du Power Metal à l'européenne. On est toujours dans l'apologie constante du riff et de la recherche d'un certain groove rythmique. Si son style est rapidement identifiable et assimilable, il ne fait pas dans la redite pour autant : l'album est très digeste, sans la moindre faiblesse, sans réelle baisse d'intensité, et sait varier son propos. Ainsi, c'est certainement le mid-tempo "Fallen Heroes" qui se distingue le plus dans cet album, franchement tubesque avec ce chant rempli d'émotion, quel refrain ! Un morceau qui n'a rien d'une ballade mais qui n'en est pas moins réellement poignant, porté par un excellent riff. Sur les excellents "Street Machine" et "Behind The Iron", le très talentueux JP Abboud fait preuve avec beaucoup de brio de toute l'étendue de son registre vocal. "Mindless Maze" démontre qu'une certaine recherche musicale anime aussi le combo. Quant à "Speed Queen", c'est une véritable décharge d'adrénaline qui clôture cet album en beauté.

Ce rétro Metal n'a évidemment aucun mal à s'acoquiner avec cette tendance très geek mise en exergue notamment par la Synthwave : le logo du groupe et la pochette évoquent ces vieux jeux-vidéos du tout début des années 90, l'époque des Atari ST et autre Amiga. Musicalement cela s'illustre notamment par ce "Konamized", instrumental tiré du jeu vidéo "8-bit Killer". TRAVELER surfe donc sur cette tendance, mais sans trop en faire au contraire de certains groupes récents de Power Metal. Car ce qui prime avant tout chez eux, c'est l'envie de faire du bon Heavy Metal plutôt que de proposer une imagerie trop envahissante. Il n'y a donc aucune trace de gras, de superflu. 8 titres, 38 minutes, rien à jeter. Cette tendance désormais de proposer des albums d'une durée resserrée, une fois de plus une réminiscence de l'époque du vinyle, m’apparaît réellement comme une bénédiction.

TRAVELER s'est évidemment nourri des groupes européens, JUDAS PRIEST bien sûr, du MAIDEN (époque "Killers" notamment) évidemment, mais aussi TRANCE (la voix de JP Abboud ayant franchement pas mal de points communs avec celle de Lothar Antoni), mais il est impossible non plus de ne pas penser à la scène nord-américaine et sa vélocité légendaire, de FIFTH ANGEL à WILD DOGS en passant par LEATHERWOLF. Ce premier album fait totalement honneur à ses influences, sans donner le sentiment de n'en être qu'une pale copie, on espère donc que TRAVELER saura perdurer et maintenir ce haut niveau qualitatif.